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lundi 27 juin 2011

Mais, c'est un enfant après tout !



Les relations avec les parents d’élèves sont déterminantes à la fois pour les progrès de l’élève mais aussi pour l’efficacité du travail de l’enseignant.  Une bonne adéquation entre les conceptions éducatives des parents et les conceptions pédagogiques de l’enseignant sera forcément profitable à l’enfant. L’enfant est imprégné de l’image qu’a sa famille de l’école, des enseignants et plus généralement du savoir. Dans une famille où l’on méprise les connaissances, où l’on a un a priori défavorable à l’égard des enseignants, l’enfant n’aimera ni l’école, ni les apprentissages. Il se trouvera obligé de fréquenter un univers qu’on lui décrit comme inutile voire hostile.

Aujourd’hui, le politiquement correct en matière éducative impose le modèle de l’enfant-roi, ou plutôt de l’enfant-tyran. L’enfant a été promu au sommet de la pyramide familiale, il décide de tout et ordonne à son entourage exactement comme s’il était un être autonome et responsable, un adulte. Cela signifie que l’on a oublié la définition même de l’enfant, à savoir un être en construction. Il est considéré comme un être capable de décider : par conséquent, l’adulte argumente avec lui, négocie, demande la permission… Les mères ont bien souvent perdu de vue l’immense responsabilité qu’elles ont dans la construction de ce futur adulte et par ignorance, par suivisme ou par narcissisme, s’appliquent à inculquer à leurs progénitures qu’ « elles peuvent tout avoir et qu’elles ont droit à tout ». Alors qu’éduquer consiste justement à faire comprendre que « dans la vie on ne peut pas tout avoir », l’éducation se faisant dans la frustration, ce qui ne signifie pas la privation. [2]

S’il est évident que l’éducation se donne dans les familles et non à l’école, il n’en reste pas moins qu’un certain type d’éducation donné à la maison peut nuire aux apprentissages et freiner leur avancement.  L’acquisition de connaissances nécessite du travail et des efforts, parfois des échecs. Toutes choses qui, dans la conception actuelle de l’éducation, sont bannies du monde enfantin. L’enfant doit être préservé dans une bulle de bonheur pour flotter en permanence dans un état de satiété ; pour cela, l’adulte doit satisfaire tous ses besoins. C’est là que le bât blesse. Lorsque l’enseignant initie à l’effort, au travail régulier, quand il demande que des leçons soient apprises, des exercices réalisés avec soin, quand il faut recommencer si cela ne va pas, quand l’enfant découvre qu’il n’est pas tout seul au centre, qu’il doit supporter les autres, alors surgissent les problèmes. Et avec eux l’avocat de l’enfant, généralement la mère, arrivant au galop pour tancer l’enseignant fautif, celui qui a commis le péché de lèse-majesté.  Les pères dans l’affaire sont souvent en retrait, et suivent avec plus ou moins de conviction les mères ultra-protectrices prêtes à monter au créneau pour une note non conforme à son souhait. Tout cela est regrettable à bien des égards. En premier, cela nuit à l’enfant et à sa scolarité, il ne peut pas développer les attitudes nécessaires à de bons apprentissages.  Cela nuit aussi à l’enseignant et à son efficacité, il se voit empêché d’exercer son métier correctement ; il peut finir par baisser les bras, son professionnalisme étant remis en cause.

La liste pourrait être longue des attitudes pouvant attirer la vindicte des parents : une réprimande, une punition, une simple remarque. La question du bien-fondé de ces accusations ne se pose même pas.  Le parent vindicatif n’a pas besoin de vérifier la véracité des dires de l’enfant, à aucun moment il ne la met en doute. S’il le dit, c’est que c’est vrai. Et les enfants, qui sont tout sauf bêtes, ont vite fait de comprendre le fonctionnement des adultes, d’en user et abuser. Combien de fois ne voyons-nous pas des élèves sortir tranquillement de l’école et, à la vue de leur mère, se mettre à sangloter, se plaignant d’un autre enfant ou de la maîtresse qui l’a injustement puni ou grondé. Combien de fois ne voyons-nous pas les enfants changer brutalement d’attitude quand leurs parents sont présents. Combien de fois, le jour de la rentrée, ne voyons-nous pas les enfants cesser de pleurer dès que la mère disparaît (avec beaucoup de difficultés, parfois en pleurant elle aussi).

Ne cherchons pas de rationalité dans de tels comportements, il n’y en a pas. Il est donc difficile de discuter, d’argumenter, d’essayer de persuader. Par exemple que répondre à une mère hors d’elle qui vous accuse par oral et par écrit d’être un(e) tortionnaire parce que vous avez eu le malheur de vouloir faire travailler son enfant (s’assurer qu’il mène à bien une tâche écrite) qui remue ciel et terre, alerte les autorités ?

Si  heureusement, tous les parents ne sont pas ainsi, cette attitude est de plus en plus répandue. Ce type d’éducation est un frein à la mission d’instruction et d’enseignement de l’école. Mais plus largement, elle nuit au développement harmonieux des enfants et en particulier à celui de leur estime de soi. À trop les complimenter pour leurs qualités personnelles et innées, et non sur les efforts qu’ils accomplissent, à trop les persuader qu’ils ont droit à tout, on obtient le contraire de ce que l’on souhaitait au départ. On voulait leur donner une bonne estime de soi, on en fait des individus narcissiques [3], complètement inadaptés à la vie dans la société actuelle.

  
[1] . La phrase qui vaut explication, celle qui exonère de tout, qui excuse de tout, qui ne nécessite aucun développement. La  phrase qui rappelle à l’enseignant, qu’il a outrepassé ses droits. C’est un enfant et par conséquent il a tous les droits.

[2] . Aldo Naouri, Éduquer ses enfants – L’urgence aujourd’hui, 2008.

[3] . On lira sur la question les ouvrages très documentés de Jean Twenge, Generation Me et Narcissism Epidemic .


vendredi 17 juin 2011

Waiting for a school miracle




" Dans l'attente d'un miracle scolaire" est le titre d'un article de Diane Ravitch paru dans le New York Times le 31 mai 2011.


Diane Ravitch, enseignante en education à l’université de New York, est l’auteur entre autres de “The Death and Life of the Great American School System: How Testing and Choice Are Undermining Education” (La vie et la mort du grand système éducatif américain).


Diane Ravitch fait ici une critique de la loi No Child Left Behind, engagée il y a 10 ans et dont le but était d’amener tous les élèves à un niveau de compétence en lecture et en mathématique d’ici 2014. Critique portant sur les résultats et sur la mise en place des différentes mesures. Diane Ravitch a elle-même participé à ce programme.

Comme prévu par cette loi scolaire, les principaux et enseignants des écoles ne parvenant pas aux objectifs fixés ont été renvoyés et remplacés. Diane Ravitch estime que beaucoup d’autres écoles fermeront leurs portes d’ici 2014 si elles continuent d’inscrire des élèves en difficultés, issus de milieux défavorisés ou atteints de handicaps. Elle considère en effet que l’impact du milieu familial est tel que 100% de réussite n’est pas possible pour tous et considère comme utopique la position des politiques consistant à imaginer qu’un système fait d’un mélange de récompenses et de punitions sera source d’amélioration.
Apparemment, les leaders politiques tentent de montrer que la pauvreté n’est pas un facteur important en matière de réussite scolaire et s’appuient sur certains exemples particuliers. Exemples que Diane Ravitch réfute clairement : École Bruce Randolph (Denver), Urban Prep Academy (près de Chicago), lycée de Miami. En analysant de plus près les chiffres annoncés, elle signale qu’ils sont faux et que les écoles en question, comparées aux autres écoles des États auxquels elles appartiennent sont bien au-dessous ; elle mentionne aussi le cas d’une école de New York qui a intéressé les médias en 2005 pour ses soudaines améliorations selon les standards en lecture, résultats qui n’ont pas tenu sur la durée puisque l’année d’après ils étaient à nouveau tombés bien bas.

A travers cette analyse, Diane Ravitch tente de faire passer ce qui à ses yeux est la cause majeure de l’échec scolaire : le déterminisme socio-économique. Pour elle, c’est la famille qui peut faire la différence à l’école et par conséquent, elle en conclut que c’est vers elle que les efforts d’aide et d’accompagnement doivent d’abord porter, non sur les principaux ou les enseignants (éducation parentale, soins prénataux, écoles maternelles). Pour elle, l’école doit se contenter d’avoir un personnel stable, des ressources correctes et un programme riche (arts, langues étrangères, histoire, science).

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Diane Ravitch diminue autant que faire se peut le rôle de l’école dans la réussite scolaire. Ce faisant, elle rejoint le courant de tous ceux qui attribuent des causes externes à cet échec et qui, par conséquent, cherchent des solutions externes à l’école.

Il est surprenant qu’une personne aussi impliquée dans les questions éducatives, et que l’on suppose informée des dernières recherches en la matière, n’évoque même pas l’éventualité de l’impact des méthodes pédagogiques dans l’obtention de résultats. La seule mention proprement scolaire est celle des contenus disciplinaires, comme si ceux-ci, une fois que l’on aurait éradiqué la pauvreté, pourraient à eux seuls garantir un bon niveau pour tous. Or un curriculum, aussi valable soit-il, est inutile tant qu’il n’est pas accompagné d’une méthode pédagogique efficace.

D’un revers de manche, elle balaie toutes les données probantes relatives à l’effet-maître, à l’effet-école et à toutes les expérimentations menées sur l’impact des méthodes. Comme par exemple l’étudede Wang Haertel et Walberg (1993), cette méta-analyse reposant sur 50 ans de recherche et 11 000 résultats statistiques ; la question posée était : qu’est-ce qui influence la scolarité des élèves ?  La grande révélation de l’étude de Wang, Haertel et Walberg, fut que l’école a plus d’influence sur la réussite scolaire que le milieu familial, contrairement à ce que l’on croit généralement. L’école peut agir sur les deux  facteurs qui arrivent en tête : la gestion de classe et les processus méta-cognitifs.

Aucun enseignant ne pourrait nier l’importance du milieu familial sur la réussite scolaire, ce serait ignorer l’évidence. Mais doit-on pour autant stopper net l’analyse en attendant une hypothétique révolution sociale qui bannirait à tout jamais la pauvreté ? L’échec scolaire est une chose extrêmement complexe, formée d’un faisceau de plusieurs facteurs. Les données expérimentales et les apports des sciences cognitives ont montré que l’école peut contribuer à l’amélioration des choses y compris et en particulier pour les enfants issus de milieux économiquement défavorisés.

Par ailleurs, focaliser uniquement sur la pauvreté économique revient à occulter une grande partie du problème. En effet, il existe aujourd’hui une catégorie sociale de plus en plus nombreuse, non démunie matériellement mais dans la plus grande détresse culturelle et pour qui l’école n’est rien d’autre qu’une garderie gratuite. Les enfants de ces familles réussissent peu à l’école. Autant on peut imaginer l’État apportant une aide matérielle aux démunis (nourriture, santé…), mais comment pourrait-il intervenir auprès de ces milliers de personnes qui dénigrent l’école, son rôle instructif, et ont le plus profond mépris pour son personnel ? Comment faire passer l’idée que l’école a une mission instructive qui nécessite du travail et des efforts et qu’elle n’est ni une garderie ni un centre de loisirs ? Mission d’autant plus difficile que les décideurs et la “pensée pédagogiquement correcte” ont œuvré depuis des années pour minorer la place des savoirs à l’école.