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lundi 31 décembre 2012

P.Meirieu et la refondation de l'Ecole


Vincent Peillon aura au moins accompli l’exploit de faire l’unanimité… contre lui, via son projet de refondation, annoncé comme une véritable révolution. Reconnaissons-lui au moins ce “mérite”.
Même les partisans de la doxa constructiviste y sont hostiles. Philippe Meirieu s’est exprimé dans le Café pédagogique pour dire à quel point il regrette que cette idée, pleine de bonnes intentions, ne soit pas à ses yeux un projet abouti, comme le fut la loi Jospin de 1989. Dans un autre article, il évoquait  avec nostalgie cette loi qui fut selon lui un texte mal lu et peu appliqué. La loi de 89 a échoué car personne ne l’a comprise et on ne l’a pas vraiment mise en place.  Curieuse façon d’analyser l’échec.
C’est le même type de raisonnement qui le conduit à penser que l’actuel projet de loi ne va pas assez loin et se contente de réparer au lieu de refonder véritablement ; il lui reconnaît seulement la vertu d’une bouffée d’oxygène. Il reproche à ce projet de réduire l’éducation à la scolarisation et de se donner comme objectif la réussite scolaire. Autrement dit, l’école se ferme sur elle-même ne s’ouvre pas assez sur la société. Pour lui, la mission des enseignants étant d’éduquer (et non pas d’enseigner) il est logique de soutenir  que cette mission doive s’associer d’autres partenaires, extérieurs à l’école.
Voici quelques points de critique qui ont retenu mon attention :
  • Entre autres choses, il critique l’absence de mesures relatives à la formation continue et propose un programme de formation volontaire en dehors des temps de cours. Ce n’est qu’un exemple montrant à quel point P. Meirieu vit hors des réalités du métier.
  • Les mesures relatives à la passerelle école / collège sont jugées trop timorées ; on ne comprend pas très bien ce qu'il souhaiterait à la place mais cela ressemble fort à une fusion des deux instances : « Certes, on ne peut pas, du jour au lendemain, fusionner les deux instances, modifier brutalement les statuts et obligations de service des enseignants du premier ou du second degré… mais, compte tenu de la convergence des travaux des chercheurs dans ce domaine comme du caractère particulièrement éclairant des comparaisons internationales, un droit à des expérimentations plus poussées s’imposait. Il est sans doute encore temps de l’introduire. » J’aimerais beaucoup avoir accès à ces recherches et savoir exactement de quoi il s’agit. Comme à l’habitude P. Meirieu, néglige de développer.
  • Les propositions relatives au numérique (mutualisation, meilleur accès aux ressources) sont interprétées comme insignifiantes et superficielles : « Il faut inventer de nouvelles pratiques pédagogiques quotidiennes où l’horizontalité des échanges s’articule avec la verticalité de l’exigence de vérité, où la mise en réseau permet de construire des connaissances de manière exigeante. Or nous ne savons pas vraiment encore faire cela… et il serait temps de développer des recherches fortes dans ce domaine. » Il évoque des pratiques pédagogiques ayant pour but la construction des connaissances, tout en affirmant qu'elles n’existent pas encore. N’a-t-il jamais entendu parler des pratiques efficaces et de l’intérêt du numérique dans l’accomplissement de ces pratiques ?
Philippe Meirieu aime les mots et les formules choc ; cette fois-ci c’est «  on ne refonde pas sans fondement. » Selon lui, le projet actuel n’a pas véritablement de fondement, c’est-à-dire de finalité partagée qui sous-tendrait toutes les actions refondatrices. Mais lui par contre, peut parler des fondements de l’École, il cite par exemple Ferdinand Buisson [1] et sa “foi laïque” ; s’ensuit une envolée lyrique qu’il résume lui-même comme un « humanisme pour la modernité ». Voilà ce qui, selon lui, manque dans le volet Fondement de ce projet. Si je suis d’accord avec lui pour dire que ce projet n’est rien d’autre qu’un ensemble de mesurettes destinées à colmater un navire qui fait eau de toutes parts, je ne partage pas l’idée de l’École sur laquelle il s’appuie et persiste à penser que l’École, par l’instruction efficace, doit rendre les élèves autonomes pour en faire par la suite des citoyens éclairés.
P. Meirieu évoque trois points essentiels pour lui :
- La culture, dont la place est jugée insuffisante. Mais,  inquiet que l’on puisse penser qu'il s’agirait d’une transmission de la culture (ce qu’il appelle avec une ironie mal placée « morceaux de connaissances fossilisées »), il propose à la place de transmettre les « tressaillements d’une intelligence qui s’exhausse au-dessus de la fatalité et de la facilité, se découvre en découvrant son pouvoir d’agir ». Traduction : il ne faut pas faire des leçons d’histoire ou de géographie de manière transmissive car c’est mal. Que faire à la place, concrètement ? Repenser les programmes autour du sens. Dans un monde imaginaire, Monsieur Meirieu viendrait nous expliquer pourquoi il ne faut pas transmettre directement la culture par des méthodes rationnelles, il nous montrerait les données probantes pour nous persuader de l’inefficacité de la méthode. Mais il nous donnerait aussi des exemples montrant comment transmettre efficacement les « tressaillements d’une intelligence… » Le verbiage pompeux de P. Meirieu est sa marque de fabrique, mais à trop vouloir en faire il risque de s’y perdre. D’autant plus, qu'il se permet, dans ce même texte, un peu plus loin, de railler le jargon. Cette logorrhée pseudo-pédagogique, même si elle est utilisée avec les meilleures intentions du monde, ne parvient pas à cacher la vacuité de la réflexion ni l’absence d’argumentaire sérieux pour convaincre, autrement que par de belles intentions humanistes.
- Les évaluations. L’école actuelle, selon lui, ne fait que transmettre des compétences techniques et il est sous-entendu que c’est une mauvaise chose. L’école qu'il appelle de ses vœux serait celle de la culture, qui impliquerait des modes d’évaluation différents : il s’agirait alors d’évaluer des projets, des chefs d’œuvre. Sa critique des évaluations révèle la phobie de la mise en concurrence mais aussi plus largement la croyance en une formation qui permettrait aux élèves de parvenir à réaliser des chefs d’œuvre sans qu’ils aient bénéficié auparavant de l’enseignement des connaissances et habiletés de base nécessaires à cela (que l’on acquiert par la pratique, par les connaissances techniques, par la transmission de la culture et autres savoirs). L’utopie de Meirieu consiste à croire qu'en mettant les enfants au contact d’œuvres culturelles, sans leur avoir enseigné aucune base ni leur avoir fait pratiqué les rudiments, ils deviendront des artistes, des auteurs, des chercheurs. C’est dire si le mythe sur la créativité a encore de beaux jours devant lui.
- Enfin une petite envolée contre le pilotage du système à qui il reproche son esprit managérial et sa logorrhée, ce qui est un comble venant de lui. La technocratie en éducation paralyse toute initiative selon lui. Cela est évident mais est-ce en remplaçant une technocratie par une autre que cela changera ?
Il revendique enfin plus de liberté au niveau local tout en admettant des passages obligés pour tous. Espaces de liberté relatifs, par exemple, aux livrets de compétence, à l’enseignement de la morale laïque. On apprend au passage que l’efficacité (mot rare sous la plume de Meirieu) des ateliers philo et des conseils de classe d’élèves a été attestée. Dans un monde imaginaire, M. Meirieu viendrait nous montrer les données probantes illustrant cette affirmation ; il nous décrirait la démarche expérimentale dans son ensemble, les 3 niveaux de recherche selon la taxonomie Ellis et Fouts.  Il serait temps tout de même que les donneurs de leçon, qui imposent ou, tout au moins, influencent fortement les pratiques enseignantes sans apporter de véritables preuves, en s’appuyant simplement sur le poids de leur notoriété aient des comptes à rendre. Pendant trop longtemps on a diffusé auprès des enseignants des contre-vérités et des principes erronés sous couvert de “recherche”, on les a engagés dans des pratiques pédagogiques inefficaces dans lesquelles ils se sont perdus et ont entraîné avec eux leurs élèves. Il serait grand temps que cette imposture cesse et que l’on ne conduise plus les praticiens sur des voies dont l’efficacité n’a pas été démontrée de manière réelle et à grande échelle.
Beaucoup de personnes sont hostiles au projet de loi de Refondation de l’École, ce qui donne une apparence d’unité. En s’attardant un peu sur les raisons de ce rejet, apparaissent alors de multiples divergences sur la conception même de l’École, sur le modèle choisi, sur les principes, bref sur ce que P. Meirieu appelle les fondements. Alors, avant de discuter sur les moyens, peut-être faudrait-il réfléchir sur la fin. Vaste sujet qui mettrait au jour l’aspect politique et social de l’École, que l’on tente plus ou moins adroitement d’occulter scrupuleusement dans les débats.




[1] . Ferdinand Buisson, pédagogue du début du XXe siècle, dont les idées pédagogiques sont soutenues à la fois par les constructivistes et par le courant traditionaliste en éducation.

lundi 24 décembre 2012

Le dur métier d'enseignant




Les conditions de travail ainsi que l’épuisement professionnel des enseignants sont bien décrits par Brigitte Gonthier Maurin, paru dans son rapport sur le métier d’enseignant. Elle y évoque tour à tour le sentiment d’impuissance face à la classe, l’impression que de multiples obstacles empêchent le bon exercice du métier, l’augmentation des conflits (avec les élèves, leurs parents, la hiérarchie), l’isolement, la frustration née du décalage entre le métier tel qu'on aimerait l’exercer et le métier tel qu’on doit l’exercer, une formation non professionnalisante. Tout y est...

Par contre, au niveau des solutions proposées, on reste dans une espèce de flou artistique auquel nous sommes maintenant habitués. Sous couvert de véritables changements on nous annonce de grandes et nobles intentions dont on ne voit absolument pas par quels moyens réels elles pourraient être mises en œuvre. Ainsi pour remédier au malaise enseignant, il faudrait redonner du sens à l’école, restaurer la confiance de l’enseignant, convaincre les enseignants de la capacité de tous les élèves à apprendre, revoir la formation, et enfin créer des réunions de collectifs d’enseignants. Une fois de plus, on ne se rend pas compte que le malaise enseignant n’est que la partie émergée de l’iceberg et qu’il est le symptôme d’une maladie bien plus grave de tout le système éducatif.

Redonner du sens à l’école pourrait se faire en lui redonnant des objectifs spécifiquement scolaires et clairement définis, restaurer la confiance de l’enseignant en rétablissant son autorité. On pourrait commencer par l’autorité de statut (revalorisation financière du métier par exemple, une restitution du pouvoir pédagogique décisionnel). Depuis quelques temps circule aussi l’idée que l’on ne croit pas à la capacité d’apprendre de tous les élèves. Je serais curieuse de savoir qui est visé dans cette affirmation et quels sont les éléments qui permettent de l’affirmer. Peut-être est-ce en rapport avec le système de notation actuel qui révèle trop d’échecs. Enfin la création de collectifs d’enseignants hors de tout circuit hiérarchique, révèle le manque de volonté patent de prendre le problème à la racine. Bien sûr, il est bon de parler avec des pairs quand on a un problème, une « souffrance ordinaire ». Mais peut-être que les enseignants attendent plus de leur hiérarchie pour résoudre leur mal être.

Le ministère et son proche entourage regorgent de brillants “experts”. Et parmi eux, aucun n’a eu le courage de poser les questions suivantes :
1. Pourquoi les enseignants se sentent-ils isolés ?
2. Pourquoi n’ont-ils plus d’autorité ?
3. Pourquoi ne savent-ils pas gérer les classes à problèmes ?
4. Pourquoi sont-ils frustrés de ne pas pouvoir exercer leur métier correctement ?
5. Pourquoi rencontrent-ils des conflits quasi-quotidiennement avec les élèves, les parents, la hiérarchie?

Une réponse honnête de nos “éducrates” les obligerait à se renier eux-mêmes et à remettre en question l’ensemble de leur idéologie éducative car c’est bien de cela qu'il s’agit.

Qu'en est-il dans le monde réel ?

1/ Les enseignants se retrouvent seuls face à un problème qu'il soit pédagogique, ou administratif. Qui consulter dans ce cas ? Un conseiller pédagogique, qui la plupart du temps va les culpabiliser et leur faire comprendre qu’ils sont seuls responsables de la situation. Un autre pourra leur donner des conseils pratiques, la plupart du temps ce sera un recueil de recettes pédagogiquement correctes, qui au bout du compte compliqueront et alourdiront la tâche sans apporter plus d’efficacité. Voilà pourquoi, plus aucun enseignant n’appelle un conseiller pédagogique dès qu'il n’est plus tenu de le faire.

2/ Les enseignants ont perdu leur autorité car le métier a été dévalorisé dans la société, et ce pour plusieurs raisons. Leur autorité pédagogique a été mise à mal lorsqu'ils ont été dépossédés de leur pouvoir décisionnel en matière pédagogique et lorsque les parents d’élèves ont obtenu d’entrer dans les écoles et d’y avoir un rôle décisionnel. A l’heure actuelle, les pratiques pédagogiques sont remises en cause par certains parents d’élèves que ce soit via les systèmes d’évaluation, les méthodes, l’organisation pédagogique, les exigences de l’enseignant… D’où la multiplication des conflits parents/enseignants, qui parfois mêmes en viennent à la violence physique. À tel point que certains enseignants n’osent même plus réprimander certains élèves. En effet, en cas de conflit, verbal ou physique, l’enseignant sait très bien qu’il se trouvera tout seul, souvent accusé d’être lui-même à l’origine du problème. Les exemples sont légions.

3/ La gestion des comportements et des classes difficiles ne fait pas l’objet d’un apprentissage lors de la formation initiale ou continue. Pendant des années, on s’est imaginé que la gestion de classe ne s’apprenait pas, qu'il suffisait de créer par sa personnalité une atmosphère propice, et puis de faire inventer quelques règles de classe par les élèves. C’était une erreur car non seulement la gestion de classe s’apprend mais de plus, elle constitue la base de tout enseignement. Sans une bonne gestion de classe aucun enseignement ne peut réussir. Pourtant, il existe des travaux montrant toute l’efficacité d’une bonne gestion y compris dans le cas de classes difficiles. Pourquoi ces travaux ne sont-ils pas connus et diffusés ? Parce qu'ils vont à l’encontre de la doxa.

4/ Les enseignants et en particulier les jeunes sont frustrés car ils ne parviennent pas à être efficaces dans leur métier. Ils sont supposés avoir été formés et dès qu'ils se trouvent seuls dans une vraie classe, ils réalisent que ce qu'ils n’ont pas les outils pour enseigner. Dans quel autre métier voit-on ce genre de phénomène ?

5/ Pourquoi les conflits sont-ils leurs lots quotidiens ? Parce qu'il y a une recrudescence de parents et d’élèves sources de conflits. Pourquoi ? Parce qu'au nom des grandes idées, on les a tolérés depuis trop longtemps.

Une fois de plus, les solutions envisagées ne sont pas à la mesure des problèmes. Pour reprendre l’exemple cité plus haut, on constate que les enseignants sont frustrés de ne pas enseigner correctement. Il n’est qu'à se promener sur les blogs d’enseignants pour s’en persuader. Notons au passage qu’aujourd’hui, cela peut se dire, c’est un grand progrès. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que s’ils ne savent pas enseigner efficacement, c’est parce qu'on ne le leur a pas appris. Il serait peut-être temps que la formation se remette sérieusement en question et commence à proposer aux futurs enseignants des méthodes efficaces puisqu’elles existent. Pourquoi la France qui, en matière pédagogique, est si prompte à aller chercher ailleurs des méthodes pédagogiques (La Main à la pâte par exemple), ne s’intéresse-t-elle pas à celles qui venant du même pays ont un rapport favorable à l’efficacité ?  La solution n’est pas pour demain.


mercredi 19 décembre 2012

L'acte d'apprendre en Enseignement Explicite

Un article du Café pédagogique propose un questionnaire relatif à la conception de l’acte d’apprendre. Par-delà la forme jargonnante adoptée par l’auteur [1], j’ai trouvé intéressant de répondre de manière ouverte aux questions du point de vue de l’Enseignement Explicite et ce dans le seul but d’informer celles et ceux qui sont intéressés par ce type d’enseignement.



1 – Pour vous, apprendre, cela signifie :
… emmagasiner en mémoire à long terme un certain nombre de compétences, savoirs et habiletés définis par les programmes. Savoir les utiliser de manière autonome. Apprendre relève de la responsabilité directe de l’enseignant comme l’a si souvent souligné Engelmann : «  Si l’élève n’a pas appris, alors le maître n’a pas enseigné ».

2 – Ce que sait déjà un élève au sujet d’un savoir à enseigner (ses représentations) :
… est essentiel, car on ne peut construire sur du vide. Il faut s’assurer de la maîtrise des connaissances pré-requises sur lesquelles seront abordées d’autres concepts ou habiletés.

3 – Pour permettre aux élèves d’apprendre, l’enseignant :
… met en place des leçons claires et explicites en partant de ce qui est connu et en graduant les difficultés. Il veillera à s’exprimer clairement, sans ambiguïté, évitera les redondances, choisira méticuleusement exemples et contre-exemples et surtout veillera à la bonne compréhension par les élèves. Il corrigera immédiatement les erreurs de manière raisonnée. Il pratiquera le renforcement positif avec abondance.
4 – Dans le cadre du travail didactique, interagir avec ses camarades :
… est utile à condition que cela intervienne au moment de la pratique, c’est-à-dire quand les élèves ont compris la notion et commencent à la pratiquer. La pratique du tutorat est également une interaction positive autant pour celui qui montre que pour celui qui en bénéficie.

5 – Un élément de savoir ou une compétence élémentaire :
… sont liés. Le savoir est d’ordre conceptuel, il s’accompagne d’habiletés procédurales. Le tout forme une compétence particulière. L’enseignant doit agir sur les deux : transmettre des savoirs et des habiletés en veillant à leur compréhension et à leur mise en mémoire à long terme.

6 – Savoirs et connaissances :
… sont au cœur des apprentissages. L’enseignant a pour mission, entre autres, de transmettre des savoirs afin qu’ils se transforment en connaissances chez les élèves, qui par la suite pourront les utiliser de manière autonome pour structurer leur pensée. Les savoirs et les habiletés sont une base indispensable à la construction d’une pensée autonome et critique. Sans cela on se contente d’inculquer ou de formater les esprits.
7 – Faire travailler activement des élèves :
… signifie que les élèves doivent être cognitivement sollicités, c’est indispensable pour un enseignement réussi. Mais attention à la dérive : ne pas confondre une classe agitée et une classe active ! Pour solliciter cognitivement les élèves, il existe des façons de faire dans lesquelles ils sont en situation de réflexion ; ils ont des tâches à accomplir à leur niveau, c’est-à-dire qu’ils sont capables cognitivement de réaliser.

8 – Lorsqu’un élève se retrouve en difficulté ou en échec, c’est :
… 9 fois sur 10, du fait que l’élève ne maîtrise pas les connaissances préalables nécessaires pour comprendre ce qui est enseigné. Ex : un élève ne maîtrisant pas la lecture sera incapable de résoudre un problème mathématique de manière autonome. Un élève n’ayant pas la notion de verbe ne pourra aborder celle de sujet du verbe. D’où l’importance de s’assurer de la bonne maîtrise des connaissances préalables avant  d’introduire une nouvelle notion.
9 – Pour remédier à la difficulté scolaire d’un élève :
… on identifie les lacunes et on reprend l’enseignement de ce qui fait défaut. On le fait pratiquer davantage et on veille à ce qu’il intègre en mémoire à long terme les connaissances et habiletés. Contrairement à une idée reçue, la compréhension doit être accompagnée d’une pratique intensive et d’une mémorisation. Il y a un consensus de la recherche sur le sujet.

10 – En classe, l’autorité et la discipline sont nécessaires pour :
… parler de ce qu’on appelle aujourd’hui, plus largement, la gestion de classe. C’est-à-dire de l’ensemble des conditions qui vont favoriser les apprentissages : comportement social, comportement vis-à-vis des apprentissages, règles de classe, autorité de l’enseignant etc. La gestion de classe est primordiale, elle doit précéder le travail sur la gestion des matières. En effet, si celle-ci est défaillante, les apprentissages, et ce quelle que soit la méthode pédagogique utilisée, ne pourront se mettre en place efficacement. On a pendant longtemps sous-estimé, à tort, la gestion de classe et des comportements. Sur la question, on pourra lire avec profit tout ce qui concerne le SCP (soutien au  comportement positif) ou les travaux de J.C.Richoz.

11 – Un élève apprend mieux lorsqu’il :
… comprend ce qui lui est expliqué, lorsqu’il pratique avec succès, lorsqu’il est encouragé et aidé. Lorsqu’il est dans un environnement propice, calme, en confiance. Lorsqu’il réalise qu’il est capable de réussir en étant actif, en faisant des efforts. Tout cela est possible si l’enseignant prend en compte le niveau de départ de l’élève, met tout en œuvre pour être compris par lui, et pratique le renforcement positif. L’élève apprend mieux lorsqu’il réalise qu’il en est capable en réussissant des tâches à sa portée. Cela ravive son estime de soi et le réconcilie éventuellement avec les apprentissages. L’élève apprend mieux lorsqu’il sait que l’enseignant a confiance en lui et lui donne les outils pour réussir. Par contre l’élève n’apprend pas et baisse les bras dès qu’il réaliser que la tâche donnée est pour lui impossible à accomplir (car il n’a pas les outils pour ce faire).



[1] . Sylvain Connac, La personnalisation des apprentissages, Esf - Café pédagogique, Paris 2012,.



jeudi 13 décembre 2012

Données probantes: le mythe continue



L’introduction des données probantes inquiète toujours autant dans les chaumières, ainsi que le montre un article paru ce jour sur le site Éduveille. L’auteur s’offusque de la persistance de l’expression « recherche scientifique » dans l’enquête PIRLS. Cette inquiétude serait-elle le signe que les données probantes représentent une menace pour ceux qui y sont hostiles ?

Effectivement, il y a en éducation deux courants distincts : celui qui s’appuie sur les données probantes et a pour but l’efficacité de l’enseignement et celui qui s’appuie sur des choix idéologiques ou philosophiques pour déterminer les méthodes pédagogiques à privilégier. Il n’est nul besoin d’être amer pour faire ce constat, ce sont deux démarches complètement différentes. On aimerait, qu’une fois pour toutes, ceux qui refusent les données probantes assument leurs propres choix haut et fort. Au contraire, ils se sentent terriblement vexés quand on mentionne leurs choix idéologiques et n’hésitent pas, quand ça les arrange, à utiliser la phrase « de nombreuses études montrent que… » Soyons honnêtes : on ne peut refuser l’utilisation de certaines données et en accepter d’autres.

Si nous allons plus loin, la différence entre les deux courants repose sur la place de l’efficacité en enseignement. Doit-on faire en sorte que les apprentissages soient correctement effectués ? Ou bien d’autres buts sont-ils assignés à l’enseignement et à l’école en général ?  Malheureusement, dès qu’on parle efficacité, on se fait traiter de techniciste, d’utilitariste ou autre qualificatif désobligeant.

Le mythe veut donc que l’utilisation des données probantes constitue une « dérive technicienne » qui consisterait à faire appliquer mécaniquement des techniques, en se moquant complètement du contenu, des publics, de l’affectif et des contextes spécifiques. Autrement, au plus grand mépris des élèves et des apprentissages. C’est une imposture que de laisser croire de telles inepties.

Un exemple : le projet Follow Through, qui reste toujours d’actualité. Dans cette étude comparative de 9 méthodes pédagogiques, celle qui est arrivée en tête, le Direct Instruction, s’appuie sur les données probantes. En tant qu’abominable dérive technicienne, elle aurait dû arriver en dernier. Non seulement, elle a eu les meilleurs résultats sur le plan des habiletés de base (lecture, maths, langue), sur celui des habiletés intellectuelles (raisonnement, résolution de problèmes) mais aussi sur celui des habiletés affectives (estime de soi, confiance en soi…). De plus, cette méthode pédagogique convenait très bien aux élèves en difficulté pour lesquels elle avait été conçue à l’origine.

Une bien piètre argumentation avancée par les détracteurs des données probantes consiste à dire qu’elles sont inutilisables en raison de la nature du métier. Ce métier serait en grande partie construit sur l’intuition, l’expérience et les valeurs. Certes ces trois éléments interviennent dans l’enseignement comme dans n’importe quel autre métier. Mais en moindre partie. Il est certain qu’en colportant de telles croyances, on ne contribue pas à re-professionnaliser le métier qui pourtant en aurait bien besoin.

Chercher la solution aux problèmes de l’École en refusant l’accès des données probantes dans le champ éducatif, et ce, par principe, révèle un manque patent d’ouverture d’esprit. Mieux vaut sans doute conserver les vieilles recettes qui ont eu les résultats que l’on connaît.


mercredi 12 décembre 2012

Haro sur le redoublement



Le projet de refondation de l’École a annoncé sa volonté d’éradiquer le redoublement, inefficace et surtout très coûteux.

On nous dit que des travaux ont montré son inefficacité pédagogique. Même si ces travaux n’ont pas encore pignon sur rue, cela est sans doute vrai. Mon expérience de terrain me dit qu’à de très rares exceptions près, le redoublement est peu rentable en termes de réussite scolaire.

Néanmoins, quelque chose me gêne dans le discours dominant. C’est le raisonnement qui conduit à penser que, puisque les élèves ayant redoublé restent très faibles tout au long de leur scolarité (ce qui est vrai), en supprimant le redoublement, ils ne seront plus en échec (ce qui n’est pas prouvé). Nombre d’enseignants laissent passer en classe supérieure des élèves n’ayant pas le niveau requis (pour des raisons diverses, soit car ils sont hostiles au redoublement, soit car les parents y sont hostiles) ; ces élèves-là continuent à être en échec. Alors, puisque les études savent mesurer l’efficacité du redoublement, pourquoi ne mène-t-on pas des études similaires pour évaluer l’efficacité du non-redoublement en termes de performances scolaires ?
Le Café Pédagogique publie un article sur la question, rapportant sous la plume de François Jarraud les travaux d’un chercheur belge, Hugues Draelant.

On y lit par exemple deux raisons qui conduisent les enseignants à s’opposer au redoublement : celui-ci aurait « une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe et une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants ».
Autrement dit, la menace du redoublement ne serait qu’un moyen de pression utilisé par les enseignants pour obtenir de l’ordre en classe. C’est mal connaître la réalité des classes (mais l’auteur est belge et peut-être que la réalité belge est autre que la nôtre). Il y a bien longtemps que le redoublement n’est plus une menace pour qui que ce soit, étant donné que l’enseignant a perdu tout pouvoir décisionnel en la matière. Tout au plus peut-il le suggérer aux parents d’élèves, mais en aucun cas l’imposer. Les parents seuls portent la responsabilité du redoublement.
L’auteur évoque aussi le redoublement comme outil de motivation pour faire travailler les élèves. À ma connaissance et après de nombreuses années d’enseignement je n’ai jamais rencontré d’enseignant utilisant ce “moteur” là. C’était peut-être vrai dans les années 50 mais ce temps est bien révolu. Il existe d’autres méthodes pour susciter l’intérêt et la motivation des élèves. Ce serait d’autant plus vain que les élèves eux-mêmes ont assimilé l’idée que l’enseignant n’a aucun pouvoir mais que, par contre, leurs parents en ont beaucoup.

Enfin l’auteur situe cette “supposée” résistance au redoublement dans le cadre plus général d’une opposition systématique à toute réforme, un certain immobilisme, dans le seul désir du maintien de l’autonomie professionnelle. Autrement dit, les enseignants seraient des personnes un peu étroites d’esprit, peu soucieuses de la réussite de leurs élèves, obsédées par l’ordre et leur pouvoir personnel dans la classe, fermées à la nouveauté et figées sur leur indépendance professionnelle.
Cela fait bien longtemps que l’autonomie professionnelle des enseignants n’est plus. Et ce n’est pas en s’accrochant au redoublement qu’on la récupèrera. Mais ce n’est ni honteux ni mal de la revendiquer. Les enseignants l’ont perdue le jour où on l’on a décidé qu’ils ne seraient plus à eux seuls les garants des apprentissages scolaires, mais qu’ils seraient associés aux parents, aux collectivités locales… et que leurs avis professionnels (= sur les apprentissages) vaudraient ceux des parents d’élèves ou autres membres de la communauté éducative (non spécialistes des apprentissages).

La “déprofessionnalisation” du métier d’enseignant a commencé il y a plusieurs décennies. Oui, les enseignants sont attachés à leur professionnalisme mais ce n’est pas dans le but d’exercer un quelconque pouvoir sur les élèves. Leur professionnalisme leur a été retiré depuis plusieurs décennies par une formation déplorable, par le manque de confiance généralisé, de la part des parents mais aussi de la hiérarchie, par le peu de poids accordé à leur parole professionnelle, par l’absence de moyens pour assurer leur autorité, par une rémunération insuffisante… Tout a été fait pour que ce métier soit dévalorisé. L’enseignant est devenu un pantin entre les mains de la hiérarchie, des parents d’élèves et bientôt des collectivités locales. Car c’est vers cela que nous nous acheminons.

Pour la question particulière du redoublement, je suis par expérience persuadée de son inefficacité. Que faire alors ?

Tout d’abord s’interroger sur le grand nombre d’élèves en échec et peut-être sur l’efficacité des méthodes pédagogiques avec lesquelles ils ont été enseignés. Est-ce normal d’avoir encore 15 % des élèves ayant des acquis insuffisants ou fragiles (25 %) en fin de scolarité primaire ? Et d’envisager pour toute solution de recommencer avec les mêmes recettes qui n’ont jamais fonctionné ?

Enfin, il faut rester réaliste, on ne peut ambitionner 0 % d’échec. Que faire avec ces élèves qui échouent dès le CP ? Pourquoi ne pas, le plus tôt possible, les intégrer dans des structures de soutien spécifiques parallèlement à la classe où l’on utiliserait avec eux des méthodes ayant fait leurs preuves ? Cela nécessiterait du personnel car l’enseignant, ne peut être l’homme orchestre que le ministère voudrait faire de lui.  Donc cela aurait un coût dont on ne peut dire s’il représenterait une économie par rapport à celui du redoublement.
Le projet de loi nous annonce « un accompagnement des élèves en difficulté tout au long de l’année et des possibilités d’aménagement de la scolarité d’une année sur l’autre ». Sur le papier, c’est effectivement merveilleux, mais comme il est de notoriété publique que l’État ne déboursera pas un centime pour cela, personnellement je n’attends rien de cet engagement. Ce ne sera qu’un effet d’annonce, parmi d’autres.

Les enseignants sont dévalorisés, sous-payés, mal vus de l’opinion qui les pense nantis et autoritaires. Et on vient encore leur reprocher d’être hostiles aux réformes ! Que l’on arrête de tirer sur l’ambulance !


vendredi 7 décembre 2012

Haut Conseil de l'Education: rapport 2012



Doc

Le HCE vient de publier son rapport 2012. Rien de bien nouveau sous le soleil, si ce n’est une confirmation de l’orientation du projet de loi de Vincent Peillon. Quelques points ont retenu mon attention.


Constat d’échec : « L’échec scolaire est trop important en France. » Voilà qui commence plutôt bien. Il faut dire qu’il serait difficile de nier tant cet échec est massif et visible par tous, même par ceux qui ne sont pas concernés directement par les questions éducatives.

Redoublement : « La France est l’un des pays qui pratiquent le plus le redoublement, même si celui-ci est nettement moins fréquent que dans le passé. Or, outre le coût qu’il représente pour la collectivité, il ne constitue pas un moyen de remédiation efficace dans la majorité des cas. Il tend en effet à ancrer un sentiment d’échec chez l’élève et ne tient pas compte de la diversité de ses acquis. » Certes, l’efficacité du redoublement n’est pas prouvée et ne saute pas aux yeux. Mais un élève qui passe malgré son faible niveau, ne va pas pour autant avoir une meilleure estime de soi. Il est conscient de ses difficultés et lui faire croire qu’il n’en a pas s’appelle de la démagogie. Ce qui l’aiderait par contre, serait de lui montrer qu’il est capable de s’améliorer ; l’estime de soi ne se décrète pas, elle vient avec la réussite véritable. Le grand mouvement pour l’estime de soi qui a eu lieu il y a quelques années aux États-Unis a cru bien faire en inculquant aux élèves que chacun avait une valeur personnelle hors du commun. Les résultats ont été contre-productifs. Par contre, les élèves qui parviennent à améliorer leurs performances véritablement, voient leur estime de soi augmentée. Le HCE suggère que les élèves en difficulté soient mieux pris en charge mais pour cela il faudrait de véritables moyens, forcément coûteux…

Programmes : « Il importe également de renforcer, tout au long de la scolarité à l’école primaire, les horaires consacrés aux apprentissages fondamentaux, qui ont diminué au cours des dernières décennies. » Cela serait une bonne idée, espérons que les auteurs des nouveaux programmes s’en souviendront.

Malaise enseignant : « Leurs pratiques ne leur permettent pas d’être toujours aussi efficaces qu’ils le souhaiteraient, ce qui ne peut qu’accroître leur « malaise » et contribuer à une certaine désaffection pour la profession. » Le HCE est lucide, il est vrai que nombre d’enseignants n’en peuvent plus de mettre en place les seules pratiques qu’ils connaissent et qui ne permettent pas à leurs élèves d’apprendre. Il suffit pour s’en persuader de surfer sur Internet et de visiter les sites, blogs ou listes de discussion dans lesquels les enseignants disent leur malaise, mais aussi essaient de trouver des recettes, des remèdes, fussent-il de bonne femme, pour améliorer leur pratique ? Dans quel autre métier a-t-on recours à ce genre d’échange pour tenter de réussir ce pour quoi l’on est supposé être formé et payé ?  Mais au fait, qui leur a enseigné ces pratiques non efficaces ? Cela fait des décennies que l’on inculque aux enseignants des pratiques pédagogiques constructivistes dont l’inefficacité est maintenant connue. Et l’on s’étonne maintenant qu’il y ait un malaise dans la profession…

Malaise (suite) : Cette phrase vient juste après le couplet sur le vœu pieux de revaloriser la profession. « Compte tenu des contraintes budgétaires, l’amélioration générale des rémunérations n’est pas d’actualité. La possibilité d’une revalorisation des débuts de carrière devrait toutefois être prise en considération. » Les enseignants ont tellement eu l’habitude d’être payés de bonnes paroles, pourquoi changer ?

Formation : « … on n’assurera pas un bon niveau de formation générale à tous sans  développer des pratiques éducatives reposant sur la conviction que tout élève peut réussir et intégrant la diversité naturelle des modes d’apprentissage. » Comme si les enseignants avaient pour habitude de ne pas croire au potentiel de chaque élève. Si ce n’était pas le cas, ils ne seraient pas aussi nombreux à vivre le malaise évoqué précédemment. Enfin, plutôt que d’évoquer l’hypothétique diversité naturelle des modes d’apprentissage des élèves, ils feraient mieux d’évoquer la diversité des modes d’enseignement et de songer à la proposer dans la formation, accompagnée d’un rapport aux résultats de chacune des méthodes.

Recherche : « S’appuyer sur des expérimentations à grande échelle. » « Les pratiques des enseignants gagnent également à se fonder sur la recherchePour dépasser les nombreuses rigidités existant dans un système éducatif centralisé comme le nôtre, emporter l’adhésion des acteurs et engager une dynamique du changement, des espaces d’expérimentation et d’innovation sont nécessaires. »… « Pour que de telles expériences soient fructueuses, elles doivent être menées sur une période suffisamment longue et portées par l’ensemble de l’équipe éducative d’un établissement. » Voilà enfin expliquée cette idée mystérieuse évoquée par Vincent Peillon : la recherche. Il ne s’agit pas de s’appuyer sur la recherche internationale récente qui a déjà démontré à échelle bien plus large un certain nombre de choses. Il s’agit simplement de laisser quelques écoles jouer aux chercheurs sur leurs propres classes. Quelque chose me dit que ces expérimentations n’auront pas besoin de la taxonomie d’Ellis & Fouts.

Bla bla bla : « Il est essentiel que l’École développe la capacité des élèves à apprendre tout au long de la vie, qu’elle accroisse leur désir de connaissance et leur autonomie de jugement… Susciter la curiosité, nourrir la créativité, apprendre à s’évaluer, encourager l’esprit d’initiative, voire l’esprit d’entreprise, ainsi que le travail en commun  - indispensables aussi bien pour s’investir dans la société que pour réussir dans le monde du travail. » Tout cela est du domaine du possible en utilisant des méthodes pédagogiques efficaces, à travers lesquelles les élèves constatent eux-mêmes leurs progrès, non par des méthodes qui les bernent en leur faisant croire qu’ils ont progressé.

Évaluation : « La manière d’évaluer les élèves a une incidence directe sur l’estime de soi, et donc sur la motivation pour apprendre. En France, parents et professeurs sont très attachés aux notes chiffrées, alors que ce système de notation constitue souvent plus un moyen de classer les élèves qu’un encouragement à progresser. Or d’autres méthodes d’évaluation, développées en parallèle, permettent de mettre l’accent sur les moyens d’atteindre les objectifs d’apprentissage. » Ce n’est pas l’évaluation qui est à l’origine de l’échec scolaire. Et ce n’est pas en donnant de bonnes notes (chiffrées ou pas) que les élèves auront une meilleure estime de soi, aimeront mieux l’école et les apprentissages. Cela est une croyance qui a la vie dure. L’estime de soi vient des progrès réalisés par le travail et l’effort ; c’est l’enseignant qui doit les provoquer par une méthode efficace. Le projet Follow Through l’a bien montré dans ses mesures de l’estime de soi ; les élèves en ayant le plus étaient ceux qui avaient suivi les méthodes les plus efficaces sur le plan des apprentissages et non ceux qui avaient suivi des méthodes centrées spécifiquement sur l’estime de soi.

En conclusion, compte tenu de l’orientation prise par l’actuelle «refondation de l’École », ce rapport est conforme, prévisible. Que ses auteurs se rassurent, ils ne seront pas poursuivis comme hérétiques ! Absolument rien de neuf sous le soleil, on reprend les mêmes poncifs éculés depuis des décennies, et on recommence sans même prendre la peine de les redorer un peu. On constate les échecs mais on s’entête dans les mêmes voies. Alors qu’on nous serine sur tous les tons que le salut sera dans l’innovation, je trouve que nos têtes pensantes en manquent cruellement.



jeudi 6 décembre 2012

Faire du neuf avec du vieux

Projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

Voici une sélection thématique de quelques points importants pour l’enseignement primaire.  A gauche la citation, à droite mes remarques. Tout cela donne une idée de la « profondeur » de cette refondation…

La liste est loin d’être exhaustive. Je me suis lassée assez vite tant cette prose est déprimante, à la fois par la forme et par le contenu. Des déclarations contradictoires, des « grands mots » parés de toutes les vertus humanistes imaginables, des pseudo-changements. Bref, la montagne a accouché d’une souris. Mais d’une souris qui ne rendra pas service aux enseignants, ni en terme de pratique professionnelle, ni en terme de rémunération. Au contraire, elle leur rendra le métier plus difficile ; quant aux résultats chez les élèves, ils risquent bien de ne pas être à la hauteur des intentions affichées. Sauf en brisant les thermomètres.


PRATIQUES PÉDAGOGIQUES

« De nombreuses études attestent l’effet déterminant des pratiques pédagogiques des enseignants dans la réussite des élèves. »
Cette déclaration est a priori remarquable et innovante pour utiliser un terme que le ministère affectionne ! Dommage que nous ne sachions pas exactement quelles sont ces études ni ce que le ministère en tirera comme conclusion.
« Faire évoluer les pratiques pédagogiques par la mise en place du dispositif “plus de maîtres que de classes” »
Le fameux changement des pratiques pédagogiques est enfin dévoilé : un maître supplémentaire par classe.
« Dans ces écoles, un renforcement significatif et ciblé de l’encadrement dans les premières classes de l’école primaire devrait permettre des pratiques pédagogiques renouvelées et d’accroître la performance d’acquisition de la lecture et de l’écriture. »
Petit bémol à la déclaration précédente : cela concerne les ZEP. Un maître de plus par classe dans ces endroits est une excellente chose et je parle en connaissance de cause.
Mais il est abusif de laisser entendre que cela renouvellera les pratiques pédagogiques.
Sait-on vraiment ce qu’est une pratique pédagogique au ministère ?
On pourrait mettre une dizaine d’enseignants, s’ils utilisent une méthode inefficace, la lecture ne s’améliorera pas pour autant…
« La politique de réussite éducative pour tous les élèves doit s’accompagner de marges de manœuvre en matière de pédagogie afin de donner aux équipes locales la possibilité de    choisir et de diversifier les démarches. »
Confirmation de la liberté pédagogique. Quelle largeur pour ces marges de manœuvre ?

FORMATION CONTINUE

« … La formation continue enfin qui est indispensable pour permettre aux enseignants de rester au contact de la recherche, des avancées dans leur discipline ainsi que des évolutions qui traversent les métiers de l’éducation et la société. »
Nous avons hâte de connaître cette recherche. Espérons que tous les grands travaux sur l’efficacité des méthodes seront enfin portés au grand public, par exemple.

FORMATION INITIALE

« La recherche sera au cœur des enseignements qui seront dispensés au sein des ESPE. »
On rêverait d’une formation initiale qui présenterait l’ensemble des méthodes pédagogiques au regard de leurs efficacités respectives auprès des élèves.
Est-ce à dire que les données probantes vont enfin avoir droit de cité dans l’enseignement ?

REDOUBLEMENT 

« Enfin, il convient de poursuivre la réduction progressive du nombre de redoublements car il s’agit d’une pratique coûteuse plus développée en France que dans les autres pays et dont l’efficacité pédagogique n’est pas probante. »
On soulignera l’honnêteté de l’affirmation. Les enjeux financiers du redoublement étaient en effet un secret de polichinelle. Il est vrai que l’efficacité du redoublement n’est pas prouvée pas plus que celle du passage systématique.

ÉVALUATION DES ÉLÈVES

« Les modalités de la notation des élèves doivent évoluer pour éviter une notation sanction à faible valeur pédagogique et privilégier une évaluation positive simple et lisible, valorisant les progrès, encourageant les initiatives et compréhensible par les familles. »
Il s’agit simplement d’éradiquer la notation chiffrée, supposée traumatiser les élèves (et leurs parents) n’ayant pas des 20/20.
Autant les encouragements positifs sont indispensables dans la conduite pédagogique, autant l’évaluation positive dont il s’agit ici risque de tourner à la  mascarade démagogique destinée à faire croire à chaque élève et à ses parents qu’il réussit. Le meilleur moyen d’effacer l’échec n’est-il pas de casser le thermomètre ?
Quant à la lisibilité des évaluations pour les parents, ce serait une excellente chose, mais encore faudrait-il savoir ce qui est entendu par « lisibilité ».

CONTENU DES PROGRAMMES

« Les enquêtes internationales montrent qu’ils (les élèves) sont non seulement loin de maîtriser les compétences (en langues) attendues en fin de 3ème, mais surtout qu’ils arrivent en dernière position de l’ensemble des élèves européens évalués pour la maîtrise de ces compétences. »
Au vu des évaluations internationales, on ne pouvait plus nier le piètre niveau en langues des élèves français. Ce serait peut-être l’occasion de s’interroger sur la qualité de cet enseignement, en primaire mais surtout dans le secondaire, où il occupe une place plus importante.
« Une langue vivante dès le cours préparatoire.  La précocité de l’exposition et de l’apprentissage en langue étrangère est un facteur avéré de progrès en la matière. »
L’affirmation de ce principe est louable.
Mais si l’on se cantonne à cela sans s’interroger sur la qualité de l’enseignement dispensé, y compris au collège, cela restera un emplâtre sur une jambe de bois.

CYCLES

« Assurer la progressivité des apprentissages de la maternelle au collège. »
Je me fais plaisir en m’imaginant qu’il s’agit du principe de base de l’enseignement explicite : enseignement progressif, du simple au complexe, ne passant pas à l’étape suivante tant que la précédente n’est pas acquise. On peut rêver après tout …
« La mise en place des cycles, effective en principe depuis plus de vingt ans, a été peu mise en œuvre et n’a pas conduit à la progressivité nécessaire des apprentissages. »
Traduction : la mise en place des cycles a été un fiasco. Non parce que l’idée n’était pas bonne, mais parce que les enseignants ne l’ont pas appliquée. Tout est dans la nuance.
« La politique des cycles doit être relancée. »
Traduction : la politique des cycles a échoué, donc il faut la relancer.
On aurait espéré un esprit plus dynamique (voir les travaux de  Carol Dweck) : cela aurait consisté à tirer profit de l’erreur pour s’orienter vers une autre solution. Quand je pense que les mêmes nous serinent que l’erreur doit être source d’enseignement.
Création d’un « cycle associant le CM2 et la classe de 6ème. »
Les cycles ne fonctionnaient déjà pas quand toutes les parties étaient dans une même école, alors à cheval sur des écoles et un collège, je vous laisse imaginer.
Quant aux professeurs du secondaire, je les entends déjà railler cette infâme « primarisation du collège ».

RYTHMES SCOLAIRES

« Neuf demi-journées de classe. La matinée d’enseignement supplémentaire prendra place le mercredi, sauf dérogation sollicitée auprès des autorités académiques. »
Est-ce que les têtes pensantes ont songé aux temps partiels, aux compléments de décharge des directeurs, aux remplacements. Et que se passera t-il quand des écoles d’une même circonscription auront un emploi du temps différent ?
On n’a pas encore inventé le logiciel informatique qui pourra gérer tout cela, et ce n’est pas l’Éducation Nationale qui le fournira. Mais tout cela relève de l’expérience de terrain, alors…

LE NUMÉRIQUE 

« Ces technologies peuvent devenir un formidable moteur d’amélioration du système éducatif et de ses méthodes pédagogiques, en permettant notamment d’adapter le travail au rythme et aux besoins de l’enfant, de développer la collaboration entre les élèves, de favoriser leur autonomie, de rapprocher les familles de l’école, de faciliter les échanges au sein de la communauté éducative. »
Bla, bla, bla.
Les nouvelles technologies ne sont qu’au service des pratiques pédagogiques. Ce ne sont pas des objets magiques, ni des gadgets pour « rendre l’école plus attrayante » (propos du ministre, entretien sur RTL).
Sans des méthodes efficaces, les TICE ne sont rien.
Au service des méthodes efficaces, elles augmentent encore l’efficacité.
« … créant un nouveau service public : le service public de l’enseignement numérique.
Ce service permet d’enrichir l'offre des enseignements qui sont dispensés dans l’établissement et de faciliter la mise en œuvre d'une pédagogie différenciée.
J’aimerais bien avoir un job dans ce service.
Pourquoi une pédagogie différenciée ? Qui a montré que c’était plus efficace ? Voir ici
Des ressources et des services numériques seront mis à la disposition des écoles et des établissements scolaires pour prolonger les enseignements qui y sont dispensés et leur permettre de mieux communiquer avec les familles. »
On connaît les limites des services proposés par l’Éducation Nationale : usines à gaz, peu conviviales et peu stables.
« Un réseau social professionnel offrira aux enseignants une plateforme d’échange et de mutualisation. »
Le mot est lâché : MUTUALISATION. On ne peut pas reprocher aux enseignants de faire leur métier de manière insatisfaisante et en même temps leur demander de mettre en commun leurs ressources.
Que l’on me cite un autre métier faisant appel à la mutualisation ? Et pourquoi pas le bricolage aussi ?
« Un effort important dans le domaine de la recherche et développement sera conduit pour développer des solutions innovantes en matière d’utilisation du numérique pour les apprentissages fondamentaux. Cet effort visera notamment à développer une filière d’édition numérique pédagogique française. »
Autre mot fétiche : INNOVATION.
Un principe intangible dans l’Éducation Nationale : ce qui est nouveau est bon. Pourquoi ne pas dire simplement : création d’une filière d’édition numérique ?
Si cela voit le jour, ce sera une bonne chose car les ressources manquent et les éditeurs papier n’ont pas encore  compris que c’est l’avenir…

PARENTS D’ÉLÈVES

« La participation des parents à l’action éducative est un facteur favorable à la réussite de leurs enfants. Il convient de leur reconnaître une place légitime au sein de la communauté éducative. La “co-éducation” doit trouver une expression claire dans le système éducatif « comme le souhaitent les parents. »
Tout comme si les parents n’avaient pas déjà une place de taille dans le système éducatif : ils prennent les décisions pédagogiques (ex : redoublement) sont membres des conseils d’école, ne se privent pas de dire leurs avis sur les pratiques pédagogiques des enseignants. Mais puisqu’il est question de co-éducation, pourquoi ne pas leur demander d’éduquer leurs enfants d’une manière favorisant les apprentissages scolaires et les valeurs transmises à l’école : respect, politesse, sens de l’effort ?
« Les familles doivent être mieux associées aux projets éducatifs d’école ou d’établissement »
Pourraient-ils l’être davantage qu’ils ne le sont déjà ? Oui, en leur demandant de faire classe à notre place, ou plutôt de nous expliquer les contenus et les manières de faire. Et en nous tenant lieu d’inspecteurs…