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samedi 27 octobre 2012

L'impossible débat, suite.


« Plusieurs ténors de l’enseignement explicite parlent de modelage comme si les élèves/apprenants étaient de la pâte à modeler. Ils ne voient plus ces derniers comme les anciens qui, eux, croyaient que leurs disciples n’étaient que des vases à remplir mais ils les voient, ce qui est ma foi plus terrifiant, comme des vases à sculpter. Les élèves/apprenants ne sont pas plus à remplir, puisqu’il ont déjà un contenu expérienciel (décuplé lorsqu’on les place en situation de réseautage) qu’ils ne sont à sculpter, puisqu’ils ont déjà une forme en chacun d’eux. Toute abstraction de ces faits mène à l’affrontement entre « celui-qui-sait » et celui qui « sent-qu’on-ne-tient-pas-compte-de-ce-qu’il-sait/est ».



Comment peut-on honnêtement débattre de pédagogie quand la partie qui critique n’a absolument rien compris aux propos de ses adversaires, et se cantonne à une lecture superficielle et orientée des arguments proposés. Le côté répétitif est un peu lassant.

En voici encore un bel exemple, trouvé sur un blog canadien. Il est affligeant de constater que ceux qui pratiquent de tels procès d’intention se disent spécialistes de la question et du haut de leur suffisance n’hésitent pas à dire le vrai et le faux en pédagogie.

Car, affirmer que les défenseurs de l’Enseignement Explicite parlent de modelage car ils considèrent les élèves comme de la pâte à modeler, révèle une ignorance crasse ou alors une mauvaise foi toute aussi inquiétante.

Le terme modelage, utilisé à l’origine par les Canadiens est une traduction de l’anglais modeling. To model : verbe transitif,  synonyme de to demonstrate signifiant montrer, présenter. Exemple : The teacher modeled the words on the white board. Cette phrase n’a aucune connotation pédagogique, le verbe indique que le professeur a présenté les mots au tableau. En bref, il signifie expliquer. Par exemple, lorsque j’explique comment trouver un verbe conjugué dans une phrase, en donnant des exemples, des contre-exemples, en vérifiant la compréhension de tous, je fais du modelage. Pour autant, je ne m’érige pas en modèle personnel, pour autant, je ne façonne pas l’esprit sans défense de l’élève.

Mais, une fois de plus, résumons ce qu’est le modelage. Chacun pourra ainsi juger de la pertinence de la comparaison avec la pâte à modeler, sauf à penser que toute forme d’apprentissage est un formatage de l’esprit. Dans une leçon explicite, le modelage est le moment où l’on présente et explique la leçon, on donne des exemples, des contre-exemples, on raisonne à haute voix pour expliquer le cheminement, on vérifie la compréhension. Cette dernière est au centre de la démarche. Par conséquent, il ne s’agit en aucune manière de faire entrer l’esprit de l’élève dans un moule ni le sculpter mais au contraire de lui donner tous les éléments qui vont permettre la compréhension et le rendre ainsi plus autonome dans ses apprentissages et dans sa vie future. Le modelage n’est rien d’autre qu’une démonstration explicite. Pas de quoi être terrifié !

Ceux qui ont à cœur de critiquer l’Enseignement Explicite devraient d’abord le connaître parfaitement (on combat toujours mieux ce que l’on connaît bien) et savoir précisément ce que recouvre la terminologie qui pourtant a été décrite abondamment.

Mais, puisqu’il est question de modelage/formatage, voyons un peu ce qu’il en est du côté constructiviste. Quand on s’évertue, comme c’est une pratique courante dans cette mouvance pédagogique, à inculquer « l’esprit critique », sans fournir aux élèves les contenus leur permettant de le faire, là, on peut véritablement parler de formatage et de façonnage des esprits. Sur ce sujet on lira avec profit : Pourquoi la pensée critique est-elle si difficile à enseigner ? de D. Willingham, ainsi que le point de vue d'E.D. Hirsch.

Inévitablement, la diatribe se termine sur la sempiternelle conclusion d’une pédagogie frontale, autrement dit l’inévitable affrontement entre l’enseignant et ses élèves apprenants : en effet un tel enseignant ne peut que mépriser les savoirs déjà acquis de ses élèves. Par quelle néfaste alchimie ? Mystère. Mais que celui qui a des oreilles entende. Pour une mise au point terminologique, comprenant l’expression Pédagogie frontale, voir cet article.

Le billet de ce blog est certes anecdotique, mais tout de même révélateur de l’impossibilité renouvelée d’un débat pédagogique autre que celui qui se tient dans le registre du procès d’intention et de la mauvaise foi.





vendredi 5 octobre 2012

Le rapport de la concertation "Refondons l'Ecole"


Rapport consultable ici

Dialogue virtuel entre le Rapport et l’École.


Le Rapport : De quoi disent-ils que vous êtes malade ?

L’École : Ils  disent que les méthodes pédagogiques utilisées sont inefficaces, d’autres disent que les programmes sont en cause.
-          Ce sont tous des ignorants. Vous êtes atteinte de PFT
-          PFT ?
-          Oui, PEDAGOGIE FRONTALE TRADITIONNELLE. Comment se manifestent les troubles ?
-          Arrivés en sixième 15 % des élèves ne savent pas lire.
-          Justement, la PFT.
-          Oui, mais 15 % ne savent pas non plus écrire.
-          Justement, la PFT.
-          Malgré de longues études d’anglais, les élèves français sont parmi les pires élèves européens.
-          La PFT.
-          Ceux qui parviennent à lire et à écrire ne maîtrisent absolument pas l’orthographe.
-          La PFT.
-          Ils n’ont aucune culture générale.
-          La PFT.
-          Oui,  mais ils sont violents envers leurs professeurs.
-          La PFT.
-          Ils les insultent fréquemment.
-          La PFT. Vous avez envie que tous vos élèves réussissent ?
-          Oui, monsieur.
-          La PFT. Est-ce que vous avez aussi envie que vos élèves soient instruits ?
-          Oui, monsieur.
-          La PFT. Est-ce que vous pensez que les connaissances sont un moyen pour devenir un  citoyen éclairé.
-          Oui, monsieur.
-          La PFT, la PFT, la PFT.
-          Monsieur, est-ce que c’est grave ?
-          Oui, c’est très grave.
-          Mais, qu’est-ce que c’est au juste ?
-          …. c’est mal.
-          Qu’est-ce qu’il faut faire ?
-          Petits groupes, projets, tutorat, petits groupes, projets, tutorat.
-          Mais encore ?
-          Innovation, innovation, innovation.
-          Pourquoi ?
-          Parce que ce qui est nouveau est bon.
-          Mais petits groupes, projets, tutorat, ce n’est pas nouveau...
-          Mais c’est bon pour vous.
-          Pourquoi ?
-          Parce que.



Voilà désigné, une fois de plus, la responsable de l’échec scolaire français : la PFT ou pédagogie frontale traditionnelle. Nous connaissons la chanson et les paroles depuis plusieurs décennies. Néanmoins, personne ne semble être gêné que l’on ne parle jamais vraiment de la coupable : la PFT. Qu’est-ce c’est ? En quoi cette pratique consiste-t-elle réellement ?  Ensuite, que lui est-il reproché ? Comment parvient-on à la conclusion qu’elle est à l’origine de cet échec massif ? Quelles enquêtes et études et observations l’ont montré ? S’il en existe vraiment, alors il aurait fallu interdire cette pratique depuis bien longtemps, de la même manière qu’on interdit les médicaments dangereux.

En fait, dans les classes réelles de France et de Navarre, la PFT n’existe pas. La pédagogie traditionnelle (= celle d’avant l’École Nouvelle) n’existe plus. Elle a été remplacée depuis bien longtemps par le constructivisme, sous ses diverses formes. Si les auteurs du rapport s’étaient rendus dans de véritables écoles et dans de nombreuses écoles, ils l’auraient su. La majorité écrasante des enseignants de primaire use et abuse du constructivisme, dont on voit directement les méfaits dans les classes. Observations qui sont corroborées par les enquêtes et études de grande ampleur. Que l’on m’explique pourquoi le rapport, qui prétend vouloir s’appuyer sur les études scientifiques et sur les dernières avancées de la recherche en éducation, ignore les résultats de ces études-là qui pourtant font consensus dans le milieu scientifique ? Je n’en citerai qu’une, et non des moindres, celle de Kirschner, Sweller et Clark. Je remarque également que l’on ne parle plus de pédagogie traditionnelle, mais qu’on a adjoint à cette dénomination l’adjectif frontal, comme pour en accentuer le caractère néfaste. C’est peu dire que ce terme a une connotation négative, mais cela est tellement évident qu’il n’est nul besoin de l’expliquer. Et il vaut mieux pour les auteurs car ils en seraient bien incapables.

Quant aux solutions préconisées pour guérir ce supposé mal infâme, ce sont toujours les mêmes : innovation, tutorat, projets, travail en petits groupes. Puisque le ministère a annoncé son intention de s’appuyer sur la recherche, j’attends avec fébrilité les études qui me persuaderont de travailler ainsi. La recherche n’a pas attendu l’actuel ministère de l’Éducation : les données probantes sont là, depuis de nombreuses années et elles sont unanimes. Parmi ces « autres pédagogies » mentionnées par le rapport, l’enseignement explicite figure en bonne place, mais, curieusement, les auteurs ont dû sauter un chapitre… Enfin, j’ai hâte que l’on m’explique en quoi le principe d’innovation en soi a un rôle à jouer en matière d’efficacité en enseignement. Je ne voudrais pas sombrer dans le pessimisme, mais quelque chose me dit que l’on va ressortir les vieilles lunes constructivistes (qui sont loin d’être innovantes), pour les redorer au vernis de quelques pseudo expériences menées sur une petite dizaine de classes par des militants, pour les vendre ensuite comme vérités universelles aux enseignants. Bref, rien de nouveau sous le soleil.

Redorer le blason du constructivisme

Une fois identifié le responsable de l’échec scolaire massif et persistant (la PFT), vient le temps de la proposition. Je me suis donc penchée sur ce qui concerne l’enseignement primaire.

« Intégrer les démarches croisées de champs disciplinaires multiples », voilà une première « mesure concrète ». Une autre consiste à « amener l’élève à la compréhension de ce qui fonde le dénominateur commun des disciplines, en l’initiant notamment à l’épistémologie et à la démarche scientifique et en multipliant les projets pluridisciplinaires qui permettent d’ausculter une thématique sous différents prismes et d’intégrer la complexité dans le raisonnement. »

Que l’on se rassure ce n’est pas du blabla, un exemple vient illustrer la phrase : pour étudier l’eau on l’envisagera sous ses multiples aspects, physique, économique, géographique etc… Je crois que cela s’appelait autrefois la transdisciplinarité. Les enseignants du collège vont certainement s’en réjouir. Nous attendons donc impatiemment les études qui nous montrent que transdisciplinarité et utilisation de la complexité dans le raisonnement permettent de meilleurs apprentissages.

Par ailleurs, soyons honnête, parmi ce fatras d’archaïsmes se prétendant nouveautés,  il faut ajouter à cet enseignement celui de «  nouveaux registres de connaissances et de savoirs » devant « acquérir leur légitimité à l’École »… [roulement de tambour] Il s’agit des life skills ou compétences de vie. Ce sont un ensemble de compétences psychosociales  et interpersonnelles permettant de gérer les problèmes quotidiens ; l’Unicef s’y est beaucoup intéressée.

En 2008, un article de Xavier Roegiers en fait mention en expliquant qu’elles « constituent l’un de ces nouveaux paradoxes qui caractérisent les systèmes éducatifs aujourd’hui : ils sont tout à la fois les vecteurs d’une citoyenneté universelle porteuse des germes du « vivre ensemble », mais ils forment aussi un code de conduite normatif dans une perspective planétaire d’uniformisation. Dans les curriculums, ces life skills deviennent donc ce que chaque système éducatif en fait : une manière d’envisager la vie à l’école, un tremplin pour le développement de l’élève, un enrichissement des apprentissages, mais parfois aussi tout simplement de nouvelles connaissances à assimiler. L’introduction de cette nouvelle catégorie de contenus dans les curriculums reflète une autre conception de l’approche par compétences que l’on peut qualifier d’approche “Nations Unies” (PNUD, UNESCO, UNICEF…). Dans cette conception, le concept central est le concept de “life skill” ».
Toujours dans le même article, des exemples de ce que peuvent être ces life skills à l’école : « la coopération, la tolérance, la prise de décision responsable, le respect de l’environnement, la préservation de sa santé et de celle d’autrui… Bref  de tout ce qui contribue au “vivre ensemble” ».
Le problème posé par ce genre d’enseignement est connu sous le terme de formalisme pédagogique. Il est certes utile d’apprendre aux élèves à raisonner et  à développer leur esprit critique mais il est néfaste et contre-productif de le faire au détriment des contenus, en faisant passer au second plan leur enseignement. C’est la dérive courante qui tourne vite au dressage, au formatage des esprits. Elle a d’ailleurs été fortement critiquée et argumentée par les travaux de Hirsch ou D. Willingham [1] qui montrent par exemple que l’esprit critique ne peut s’acquérir que dans le cadre de connaissances déjà solidement acquises. Il eut été de bon aloi que le rapport présente ce genre de mise en garde, sans quoi les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Le rapport propose que les life skills constituent un enseignement à part entière, intégré au programme, et enchaîne habilement sur « l’ensemble des relations entre savoirs, connaissances et actions » qui ne peuvent s’exprimer pleinement que dans une approche par compétences, permettant de « donner sens aux apprentissages en liant savoir et action ». L’approche par compétences a eu un tel succès qu’il est légitime de la revendiquer à nouveau dans des phrases aussi creuses que ne le sont les idées qu’elles véhiculent.

Mais, une fois n’est pas coutume, soyons optimiste, et attendons les données probantes de ces “nouvelles” orientations, qui sauront sans aucun doute nous convaincre de leur bien-fondé. Après tout,  le ministre n’a-t-il pas écrit : «  La pédagogie doit être attentive aux travaux de la recherche. »