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mercredi 23 janvier 2013

Dans l'intérêt des enfants



Une fois de plus la formule magique est lâchée, celle à laquelle on ne peut rétorquer, celle qui excuse tout, qui permet tout. La morale interdit de critiquer tout ce qui est brandi au nom de l’intérêt des enfants.  Sinon, vous passez pour le croquemitaine de service.

Pour commencer, on remarquera qu’on parle d’enfants et non d’élèves, ce qui n’est absolument pas la même chose. L’enseignant a devant lui des élèves, c’est-à-dire des enfants qui se trouvent en sa présence dans le but d’apprendre quelque chose. Que les parents parlent d’enfants est normal, mais que le ministère et les textes officiels le fassent aussi pose la question du véritable rôle qui est attribué à l’enseignant et plus largement celui de l’école.

Il n’en reste pas moins que cette formule choc, brandie depuis des décennies, permet de justifier tout et son contraire. Ainsi :
Dans l’intérêt des enfants, la semaine de 4 jours, la semaine de 4 jours et demi, les méthodes de découverte, l’intégration et l’inclusion des handicapés, la  suppression du redoublement, la territorialisation de l’enseignement, les cycles à l’école, les études dirigées, les projets d’école, les parents dans l’école, l’ORL, les évaluations nationales, la méthode syllabique en lecture, la méthode semi-globale, la suppression des notes … Ce fourre-tout n’est pas exhaustif, loin de là ; chacun y rajoutera à sa guise ce qui manque.

D’une manière générale, si l’on met un bémol sur ce prétendu intérêt de l’enfant, on se fait traiter de corporatiste, voire d’ennemi de l’Enfant. L’enseignement serait bien le seul métier dans lequel il serait indécent d’être corporatiste. Dans ce cas, ce n’est plus  un métier mais une vocation, comme celle de religieux par exemple, ou de bénévole associatif.  Il est complètement tabou d’oser évoquer l’intérêt de l’enseignant, ou son bien-être, ou son estime de soi. Car on le met tout de suite en opposition avec celui de l’élève. Cette incohérence révèle une méconnaissance complète et gravissime de ce métier ; prenons un pays imaginaire dans lequel l’enseignant exercerait un métier  estimé, reconnu, aurait les  moyens matériels de le faire efficacement, gagnerait correctement sa vie, serait autonome dans sa pratique. Ce bien-être et cette estime de soi professionnels ne rejailliraient-ils pas positivement sur les élèves ? Un enseignant bien dans son métier, arrivant en classe le matin avec dans sa tête tout ce qu’il va pouvoir enseigner à ses élèves passe une bonne journée et ses élèves aussi. Mais il n’en est rien dans la vraie vie : l’enseignant qui arrive en classe en pensant : que va-t-il m’arriver  aujourd’hui ? (parent hargneux, hiérarchie tatillonne, méthode pédagogique ne me convenant pas mais que je suis obligé d’utiliser, élèves difficiles et moi incapable de m’en sortir …).

De plus en plus d’entreprises privées ont compris cela et ont remarqué que les employés étaient plus efficaces s’ils se sentaient bien dans leurs jobs. L’Éducation Nationale ne l’a toujours pas compris et notre ministre actuel, ne fait pas exception, lui qui se dit guidé par le seul intérêt des enfants. Pourtant, n’est-ce pas lui qui, il y a quelques mois affirmait vouloir raccourcir les grandes vacances dans le seul intérêt des enfants ? Il a pourtant suffi que le puissant le lobby touristique se signale à lui et soudain c’était à nouveau l’intérêt des enfants de garder les grandes vacances en l’état …

Ce que j’aimerais, au moins une fois dans ma vie, c’est un décideur qui aurait le courage de ses choix et dirait par exemple : le redoublement coûte trop cher, on le supprime, les élèves ont de mauvais résultats, on casse les thermomètres, les hôteliers râlent, on maintient les grandes vacances,  etc.

En juin 2012, Vincent Peillon, dans sa lettre aux personnels de l’Éducation Nationale écrivait : « … nous souhaitons manifester à tous les personnels de l'éducation nationale l'estime et la confiance que nous vous portons… ». Effectivement, tout ce qui se profile témoigne bien de l’estime en laquelle il tient les enseignants. Il faudrait peut-être revoir la définition du mot estime…

Enfin, pour terminer, je voudrais claironner moi aussi ce que je souhaiterais dans l’intérêt des élèves. J’aimerais qu’ils bénéficient de méthodes pédagogiques efficaces qui les conduiraient à : mieux apprendre, apprendre plus, y prendre plaisir et regagner ainsi l’estime de soi qu’ils ont perdue en raison d’années de réformes éducatives inefficaces, toutes au nom de « l’intérêt des enfants ». Ce n’est pas incompatible avec l’intérêt des enseignants, bien au contraire, car un enseignant qui réussit avec ses élèves fait un grand pas vers le mieux - être. 



samedi 19 janvier 2013

Réussite et esprit dynamique



Voici un clip proposant une excellente synthèse sur la réussite, qu’elle soit scolaire ou pas, et sur son lien avec un esprit dynamique (growth mindset). Il fait référence aux travaux de Carol Dweck.
 Carol Dweck a travaillé pendant de nombreuses années sur l’idée que les gens se font de leur propre intelligence, cela l’a amenée à constater l’existence de deux profils (mindset), l’esprit statique et l’esprit dynamique. Une personne à l’esprit statique pense posséder un capital d’intelligence inné et figé pour toujours. Elle croit que ses talents propres sont gravés à tout jamais dans le marbre. Elle a besoin d’avoir l’air intelligent à tout prix, car elle est persuadée de ne pas pouvoir agir pour changer cet état de fait. L’esprit statique, ainsi, se trouve dans une logique du paraître et non dans une logique du faire. Pour lui, l’erreur est un signe de faiblesse qu'il faut absolument masquer pour être reconnu des siens. À l’école, il refuse de travailler dur car cela est associé à l’idée d’une carence personnelle, il est incapable de rebondir sur un échec, il abandonne immédiatement. Les enseignants connaissent bien ce profil : c’est l’élève qui veut avoir une bonne note à tout prix, y compris par la tricherie. C’est l’élève qui zappe d’une matière à une autre dès qu'il n’est pas le meilleur, celui qui est sarcastique envers ceux qui travaillent dur.

À l’inverse, un esprit dynamique pense que son intelligence est en évolution et considère les défis comme des occasions pour apprendre plus. Il affronte les erreurs et en tire des enseignements. Il travaille dur et ne craint pas de fournir des efforts. Ce profil est moins courant dans les classes.

À l’école, la réussite, entre autres facteurs, vient aussi de l’état d’esprit de l’élève et il serait utile que les méthodes pédagogiques prennent en compte cet élément important. L’idée que l’enfant se fait de son intelligence est véhiculée par la famille, qui n’hésite pas à le complimenter sur ses qualités personnelles, croyant bien faire; ce faisant, elle contribue à développer chez lui un esprit statique. Les éloges sont un élément important aussi bien dans l’éducation des enfants que dans leur instruction mais ils doivent permettre le développement d'un esprit dynamique. Ainsi, on devra les faire porter sur les efforts fournis et non sur les talents personnels. On dira : « C’est très bien, tes efforts ont abouti et tu as réussi » plutôt que : « Qu'est-ce que tu es doué en maths ! » Cette façon de faire a une incidence évidente sur l’estime de soi, qui s’acquiert non pas comme beaucoup continuent de le croire, en inculquant dans l’esprit des enfants qu’ils sont les meilleurs, mais en parvenant à une forme de réussite[1].

En quoi l’école peut-elle favoriser l’esprit dynamique ? C’est en utilisant les éloges manière appropriée et en faisant observer aux élèves le lien entre réussite et efforts fournis, que peu à peu, ceux-ci intégreront l’idée d’une possible amélioration de leurs performances, et ce, quel que soit leur niveau de départ. Dans le quotidien de la classe, l’enseignant a un peu tendance à considérer la réussite comme normale et banale ; il faut au contraire la souligner et montrer que les élèves eux-mêmes et leurs efforts en sont à l'origine. Et que chacun peut parvenir à une forme de réussite. De la même façon, toute erreur doit faire l’objet d’un enseignement ; en la pointant, en la "positivant", l’enseignant permet à l’élève d’en tirer profit pour la suite. Il faut également, encore plus aujourd’hui, où l’effort n’est plus une valeur porteuse, montrer par des exemples que les grandes réussites sont toujours le fruit d’efforts intenses. Les exemples ne manquent pas, y compris dans des domaines appréciés par les élèves (sport, musique etc). Dans ma classe, j’aime bien engager ce genre de réflexion à partir de cette citation d’Edison :
« Le génie, c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration. »

Pour en savoir plus sur les travaux de Carol Dweck voir ici.












[1]  Sur le mouvement pour l’estime de soi voir ici.






vendredi 18 janvier 2013

Mario Richard sur les données probantes

A vos risques et aux miens, vidéo de Mario Richard

Mario Richard donne ici un excellent exemple des raisonnements erronés, mais séduisants, qui ont été tenus en enseignement depuis des années. Celui-ci consiste à attribuer le décrochage scolaire à la démotivation, elle-même supposée être la conséquence d’une école inintéressante. Autrement dit, si les apprentissages ne se font pas ou se font mal, ce serait en raison d’un manque de motivation : l’école devrait donc s’adapter afin de susciter des motivations.
Or, cela est faux et les nombreuses expériences qui ont été menées dans divers pays l’ont montré.
La motivation à l’école, comme l’estime de soi, est d’ordre scolaire et elle est le fruit de la réussite scolaire. Cela a été étudié, montré, expérimenté.

Alors pourquoi ne pas se pencher sur ce qui peut susciter la réussite scolaire, comme par exemple les méthodes pédagogiques ? Les données probantes sont à l’heure actuelle très documentées et nous permettent d’orienter nos pratiques bien plus efficacement.

Le problème ne se situe donc pas dans l’existence des preuves et des données mais dans l’utilisation de celles-ci dans le domaine éducatif. Mario Richard nous explique qu’au Québec, les résistances commencent peu à peu à céder et je m’en réjouis. Néanmoins, ici en France, nous sommes encore loin du compte et l’evidence based practice fait toujours peur. La question sous-jacente est : les injonctions pédagogiques doivent-elles s’appuyer sur des données probantes, sur une idéologie, sur une tradition ? Pour y répondre, il faudrait avant toute chose situer l’idée d’efficacité en enseignement et surtout celle des buts de l’École. 

La "finlandisation des esprits"



Je n’ai pas trouvé d’autre expression que celle-ci pour décrire ce qui est le fruit d’une campagne de presse intensive depuis nombre d’années : la Finlande est devenue en matière éducative, l’inaccessible mythe, le pays où coulent le lait et le miel de la pédagogie constructiviste, le rêve devenu réalité. Cela fait partie des idées reçues, des évidences que l’on ne discute même plus. J’ai regroupé ci-dessous quelques éléments donnant à voir de quoi est composé cet « Eden pédagogique » et quelques pistes de réflexion. Ce modèle idéal a été diffusé par les tenants du modèle constructiviste, ce qui est logique, étant donné que la Finlande
fait partie de ce courant pédagogique.


* Principe de base : l'élève ne doit pas s'adapter à l'école mais l'école doit s'adapter à l'élève.
* Un système très décentralisé : le programme d'enseignement est défini par la Direction nationale de l'enseignement (objectifs, critères d'évaluation). Dans le respect de ce cadre, les écoles et les communes déterminent leurs propres programmes. Les communes et les directeurs recrutent les enseignants. 
* La taille des écoles est raisonnable : pas de collège de plus de 400 élèves, pas de lycée de plus de 500 élèves.
* Le principe du chèque - éducation est utilisé.
* L’école obligatoire à 7 ans
*L’encadrement des élèves révèle de gros moyens : nombreuses assistantes maternelles dans les jardins d’enfants et à partir de la scolarité primaire, un enseignant et un assistant d'éducation pour 20 élèves. Des professeurs supplémentaires sont disponibles pour aider les élèves en difficulté.
* L’enseignement spécialisé : le dépistage est précoce (dès le jardin d'enfants) et les classes spécialisées sont limitées à 5 élèves. Chaque école possède un maître spécialisé.
* Le statut de l’école et de l’enseignant dans la société : l’école est encensée, et les enseignants ont un statut bien plus prestigieux qu'en France, ils sont respectés.
* Les salaires des enseignants[1]

Première colonne : salaire initial; deuxième colonne : après 15 ans ;troisième colonne :salaire maximal

Les enseignants bénéficient de primes lorsque les objectifs sont atteints [2]
* La pédagogie :

  •     La pédagogie est de type constructiviste.
  •    Il n’y a de notation chiffrée en primaire ; l’autoévaluation est pratiquée dès la petite enfance.
  •     L’enseignement de la lecture commence à 7 ans, par une méthode syllabique.
  •     Les redoublements pratiquement inexistants.
  •     Les élèves en difficulté ont à leur disposition un maître spécialisé supplémentaire ; celui-ci prend en charge des groupes de 5 élèves maximum.
  •     Les élèves primo arrivants (principalement russes) suivent un cours intensif de finnois et sont partiellement intégrés avec 1 assistant bilingue pour 5 élèves.
  •     Il n’y a pratiquement pas de devoirs à la maison.
* Les rythmes scolaires : 190 jours sur l’année, 19 semaines de vacances.
CP (classe 1 âge 7 ans) et CE1 : 19 heures hebdomadaires.
CE2 et CM1 : 23 heures hebdomadaires.
CM2 : 24 heures hebdomadaires.
Du CP au CM2 : 45 min de classe + 15 minutes de récréation.
* L’évaluation des enseignants. Il n'existe pas de système d'inspection d’état ni de corps des inspecteurs. Les établissements sont dans l'obligation annuelle de rendre publics leurs résultats et leurs principes de fonctionnement. Des primes sont accordées aux enseignants quand les objectifs sont atteints.

Les évaluations internationales regroupent TIMSS/PIRLS et PISA, tests qui ne mesurent pas les mêmes choses. TIMSS/PIRLS sont fondés sur les connaissances disciplinaires (élèves de CM1 et 4ème). PISA (élèves de 15 ans) évalue comment les élèves mettent en application ce qu’ils ont appris dans le cadre de situations problèmes. Les écoles finlandaises préparent au PISA, auquel elles participent régulièrement. Par contre, elles ne participaient plus au TIMSS depuis 1999 et y ont à nouveau participé en 2011.

Pour une lecture approfondie de l’analyse des résultats de la Finlande, on se reportera à au texte de Pedro Cordoba qui conclut que la Finlande n’a pas autant chuté que certains commentateurs veulent le faire croire, tout en soulignant la faiblesse de l’enseignement des mathématiques dans ce pays, révélée par TIMSS. Peu de personnes savent qu'en 2005, une pétition de 200 mathématiciens universitaires finlandais a exprimé son inquiétude quant au piètre niveau des étudiants, ne possédant pas les compétences nécessaires à leurs études, dans des domaines comme par exemple la manipulation des fractions.

Mais on sait aussi qu'en 2011, les élèves finlandais, sont seulement 15 % à déclarer aimer beaucoup l’école [3]; en 2003, 25% seulement déclaraient faire des mathématiques car cela leur plaisait et 45% car ils apprenaient quelque chose.

Quand on creuse un peu, on constate donc que la réalité n’est pas aussi idyllique qu'on le laisse croire.  La réputation du modèle finlandais a été surfaite  par le courant constructiviste afin de promouvoir cette façon de d’enseigner. Et les facteurs non pédagogiques, qui sont très nombreux, contribuant à l’explication de cette réussite sont soit occultés, soient minorés alors que rien ne permet de le faire. En corollaire, on notera également que la montée des pays asiatiques qui dépassent la Finlande ne fait l’objet d’aucun enthousiasme, d’aucune curiosité qui consisterait à considérer les facteurs permettant cette réussite, y compris pédagogiques. Tout au mieux se contente-t-on de déplorer à l’aveuglette leurs méthodes coercitives et de railler leurs « mamans tigres ».










[1] http://www.formapex.com/comparaisons-internationales/636-salaires-des-enseignants-du-primaire-ocde


mercredi 16 janvier 2013

Demandez le programme !



Les ministres de l’Éducation se succèdent et, avec eux, les programmes. Les programmes sont devenus des « marronniers » à chaque changement de ministère. Le ministre actuel ne fait pas exception et bien entendu sa grande « révolution » éducative comprendra un remaniement des programmes. Nous n’y échapperons pas. Cette note a simplement pour but de s’interroger sur l’efficacité réelle de ces passages obligés. 

À quoi est censé servir un programme ? Il devrait être la garantie pour tous les  élèves français d’apprendre les mêmes choses. Comme il devrait être un guide pour les enseignants, leur permettant de savoir quels contenus doivent être enseignés et en quelles quantités. C’est la moindre des choses : pour enseigner, encore faut-il avoir quelque chose à enseigner et il serait injuste que cela soit laissé à la discrétion des enseignants, des directeurs ou des inspecteurs. On parle de programmes nationaux. Idée qui n’existe pas dans tous les pays. Par exemple, aux États-Unis, il n’y en a pas. Pour pallier ce manque, des associations ont  créé des programmes, (on appelle cela curriculum, le terme program en anglais ayant d’autres sens, en particulier celui de méthode). Voir par exemple les programmes du Core Knowledge  détaillant l’ensemble des sujets que les élèves doivent maîtriser à la fin de telle classe.

De fait, chez nous, les programmes ne se limitent pas  à une grille des compétences et  connaissances que les élèves doivent acquérir. Ces grilles ont même été terriblement floues dans certaines éditions. Les programmes regorgent d’orientations pédagogiques et préconisent souvent des méthodes pédagogiques particulières, alors qu'en vertu de la liberté pédagogique, chaque enseignant est libre du choix de sa méthode. Par exemple, les programmes 2008 conseillaient fortement l’usage de la Main à la pâte pour l’enseignement des sciences.

À cette limite près, les programmes sont tout de même utiles. Et le propos ici n’est pas d’en montrer leur inutilité. Néanmoins, force est de constater que malgré la valse des programmes, le niveau continue irrémédiablement de baisser. Et si les programmes n’étaient pas en cause ? En effet, les experts peuvent bien décider qu'à tel niveau d’âge on doit être capable de connaître telles choses, cela ne donne pas à l’enseignant la clé pour l’enseigner efficacement. Et on pourrait bien retourner les programmes dans tous les sens, s’interroger pendant des heures sur le moment propice pour introduire la règle de trois,  les alléger, les étoffer, cela ne changera rien si l’enseignant ne sait pas enseigner la règle de trois efficacement.

Il est tout de même étrange qu'après toutes ces années de refontes, et autres refondations ou revalorisations, les velléités de changer les choses ne se déclinent qu'en termes de vieilles recettes, parmi lesquelles changer les programmes ; auxquelles on pourrait aussi ajouter innover, travailler par projet etc. Et toujours rien sur les méthodes pédagogiques. Rien sur le rapport à l’efficacité en enseignement.  On me rétorquera qu'au nom de la liberté pédagogique, on ne peut rien faire. Mais cette liberté pédagogique n’empêche pas les ministères de faire de lourdes suggestions quand ils préconisent les méthodes de découverte dans leurs instructions officielles.

Remanier les programmes restera un emplâtre sur une jambe de bois si on ne met pas en route une véritable réflexion sur l’efficacité des méthodes pédagogiques. Sans pour autant empiéter sur la liberté pédagogique. En effet, s’il est naturel que les enseignants soient libres de leurs choix, il l’est tout autant que cette liberté s’exprime dans le rapport aux résultats obtenus, c’est-à-dire dans les limites de l’efficacité. Toutes les méthodes ne se valent pas, mais plusieurs sont beaucoup plus efficaces que d’autres. On pourra refaire les programmes, changer les mots, changer les répartitions, il n’en reste pas moins que si l’enseignant dans sa classe ne sait pas comment faire pour les enseigner, rien ne changera jamais. Cela exigerait une réflexion profonde sur les méthodes couramment utilisées, sur leur efficacité réelle. Cela exigerait d’ouvrir les yeux sur la réalité, et d’accepter dans un premier temps l’existence d’autres méthodes, efficaces. Bien sûr, on ne peut se passer de grilles de programmes mais  tant que l’on ne donnera pas aux enseignants les moyens de les mettre en œuvre, ils resteront, une fois de plus, inutiles.

C’est sur cette question que le ministère devrait plancher et non sur un éventuel recyclage des programmes actuels. Alors là, oui, on pourrait véritablement parler de révolution.






lundi 14 janvier 2013

Spacing Effect



En cette période où l’on parle beaucoup de temps et de rythmes scolaires, il me semble intéressant de communiquer cet article de Daniel Willingham qui s’interroge sur l’impact du temps alloué à la pratique, sur l’apprentissage des élèves. Les cognitivistes considèrent que l’apprentissage effectif conduit à un changement dans la mémoire à long terme. Sans cela, l’élève n’a pas appris.

D.Willingham présente les travaux qui ont conduit à la mise en évidence de l’effet d’espacement (spacing effect) : selon cet effet, il est plus efficace de proposer plusieurs séances relatives à une même leçon sur plusieurs jours, que de les étaler sur une seule et même journée. La rétention à une semaine est bien meilleure.

L’effet d’espacement ne concerne pas les révisions (représenter une leçon ayant déjà été abordée mais ayant été soumise à l’oubli), il ne concerne que la répartition dans le temps de la durée initialement prévue pour la pratique. Cela ne veut pas dire que les révisions sont inutiles, bien au contraire.

À court terme ou à long terme ? Un très grand nombre d’expériences et mesures apportent les preuves que l’effet d’espacement permet une meilleure rétention en mémoire à court terme. Les études sur le long terme (plusieurs années) sont plus difficiles à réaliser et moins abondantes ; il semblerait néanmoins que l’effet d’espacement s’applique aussi sur la mémorisation en termes d’années. D.Willingham décrit ces diverses expériences et précise également que la plupart des connaissances scolaires sont concernées.

Enfin, il propose plusieurs pistes pour orienter en conséquence les enseignants dans leur classe.
1/ Sélectionner les connaissances les plus importantes (celles qui sont indispensables).
2/ Pour ceux qui font pratiquer les devoirs à la maison, inclure des exercices permettant d’étaler la pratique.
3/ Ne pas favoriser le bachotage (travailler longuement en une seule fois). S’arranger pour que la pratique intervienne sous des aspects variés .Dans les évaluations, proposer des exercices portant sur les diverses leçons ayant déjà été traitées et évaluées. Cela permet aux élèves de prendre conscience que l’on n’apprend pas une fois pour toutes, mais qu’il faut revenir sur la question à plusieurs reprises. Réinterroger fréquemment sur des sujets déjà traités évite l’oubli.
4/ En primaire, profiter des moments de transition ou autres moments non scolaires pour poser des questions sur des points traités précédemment.
5/ Découper les sujets en petites unités pouvant être pratiquées facilement et les utiliser dans des jeux, quizz de classe, discussions, devoirs …
6/ Associer les élèves aux processus cognitifs : leur expliquer qu’ils doivent s’entraîner souvent, plutôt qu’une seule fois, longtemps.
ö
Les « pédagogies modernes » ont donné mauvaise réputation aux exercices répétitifs et plus généralement à toute forme de mémorisation, au prétexte fallacieux que cela nuisait à la compréhension et que celle-ci se suffisait à elle-même. Et le mythe s’est installé. La mémorisation à moyen terme et à long terme est devenue une bête noire chez les enseignants. Manque de concentration, fatigue, journées trop longues sont régulièrement les explications. Certes, mais, honnêtement, peut-on reprocher aux élèves qu’ils oublient si on ne leur donne pas les outils pour les en empêcher ?  

dimanche 13 janvier 2013

Le bien-être à l'école en Enseignement Explicite


Je lisais récemment le dernier rapport du CAS (Centre d’Analyse Stratégique) sur le bien-être des enfants à l’école. Le préambule explique clairement l’existence d’un lien de corrélation entre bien-être, estime de soi et réussite scolaire. Il précise, dans une note de bas de page, qu'il s’agit bien de corrélation et non de causalité, cette dernière n’ayant pas été démontrée. Ce qui n’empêche absolument pas les rapporteurs d’en conclure que pour améliorer la réussite, il faut jouer sur le bien-être. On aurait tout aussi bien pu, puisqu'il n’y a pas lien de causalité, supposer (et non affirmer) qu'en améliorant la réussite scolaire, le bien-être et l’estime de soi seraient également améliorés. Voilà le type de raisonnement fallacieux qui corrompt les débats éducatifs depuis tant d’années. Dans la même veine, les notes (mauvaises) traumatisent les élèves et émaillent leur estime de soi ; supprimons-les ou alors ne donnons que de bonnes notes. Ce rapport nous annonce que finalement la plupart des élèves français aiment leur école, et propose des solutions pour ceux qui ne sont pas dans ce cas : former les personnels à la gestion des conflits par des méthodes de justice “restaurative”, prévenir le harcèlement en suivant les méthodes allemande et finlandaise (jeux de rôles, discussions, projets), pratiquer une évaluation positive, faire pratiquer la coopération et les travaux collectifs, initier des projets fédérateurs académiques, repenser les aménagements des espaces. Bref, les solutions habituelles.

Comment est-il possible qu'en France, aucun de nos “éducrates” ne se posent cette simple question : que faire pour que nos élèves aient de meilleures notes, c’est-à-dire maîtrisent ce qu'on leur a appris ? Et se questionnent en profondeur sur la façon dont on leur a enseigné. Il semblerait que cela ne fasse pas partie des questions envisageables par le pédagogiquement correct qui nous dicte le dogme depuis plusieurs décennies. Tout comme s’il n’était pas envisageable que l’échec d’un élève puisse être attribué, en partie au moins, à la méthode d’enseignement subie.
Qu'est-ce que le bien-être des élèves à l’école ? Quels sont les facteurs qui peuvent y contribuer ? Avant d’aller plus loin, il faut évoquer les buts de l’École. Car d’eux dépendent les moyens dont on va se doter pour les atteindre. Il est clair que ceux qui assignent à l’École pour but premier l’épanouissement des enfants, ne proposeront pas les mêmes moyens que ceux, dont je suis, qui disent que l’École doit instruire afin de former des citoyens éclairés. Par ailleurs, il est faux d’affirmer qu'une école qui instruit est incompatible avec une école qui épanouit. Mais il faut aussi prendre en considération un principe de base essentiel : tous les élèves sont capables d’apprendre. Le bien-être à l’école vient de la réussite scolaire [1]. Laquelle a aussi une incidence sur l’estime de soi. Tout commence donc par la réussite. C’est donc sur elle qu'il faut agir. Mais il faut agir véritablement et non pas se contenter de faire croire aux élèves qu'ils réussissent alors qu'ils ne le font pas. De toute façon, les élèves ne sont pas dupes. Les résultats du projet Follow Through ont montré de manière éclatante que les méthodes d’enseignement centrées sur les apprentissages scolaires favorisaient non seulement la réussite mais aussi augmentaient l’estime de soi. Alors que les méthodes centrées sur l’estime de soi (consistant à convaincre tous les enfants de leurs valeurs respectives) ne sont parvenues ni à une réussite scolaire ni à une amélioration de l’estime de soi. Dont acte.



Les raisons de l’échec scolaire ne sont pas toujours uniquement, comme on se plaît à le colporter, inhérentes à la condition sociale des élèves, sur laquelle l’école n’a pas de prise. Ou alors à une quelconque maladie ou déficience cognitive. Bien sûr, cela peut arriver, mais dans des proportions inférieures au nombre des enfants qui ne maîtrisent pas les compétences de base.

La réussite scolaire peut être améliorée avec des méthodes d’enseignement efficaces, et ce n’est pas une vue de l’esprit. Toutes les méthodes ne se valent pas. La recherche, américaine et canadienne, est là pour nous le montrer, mais curieusement nos chercheurs français n’en tiennent absolument pas compte. Les méthodes d’enseignement efficaces s’appuyant sur les données probantes (evidence based practices) utilisent des procédures de gestion de la matière ayant fait leurs preuves et s’appuyant sur ce que l’on sait du fonctionnement du cerveau lors des apprentissages. Ces procédures utilisent une gestion de classe tout aussi efficace, faisant vivre aux élèves la réussite liée aux efforts fournis, les habitudes de raisonnement, le respect des règles, le goût du travail bien fait et surtout ce que Carol Dweck appelle un esprit dynamique (savoir tirer parti de ses erreurs afin d’apprendre plus). À cela, s’ajoute la pratique des encouragements positifs qui consiste à féliciter l’élève abondamment, sur ses actions, ses résultats liés aux efforts et non sur ses qualités personnelles ou innées.

Les classes d’enseignement explicite permettent même aux élèves en difficultés de progresser, pour la simple raison que cette pratique pédagogique met tous les atouts du côté des élèves. Ainsi, on s’assure par exemple de la maîtrise des connaissances préalables avant d’aborder un nouveau concept ou habileté, on progresse pas à pas, on laisse le temps pour la pratique, on vérifie la compréhension, on ne laisse jamais les raisonnements erronés se figer dans l’esprit des élèves, on pratique la rétroaction, on fait des révisions fréquentes. Tout cela permet aux élèves d’avancer dans un cadre rassurant et structuré de savoir exactement ce qu'il va apprendre et de quelle façon il s’y prendra. Dans ces conditions, rares sont les élèves qui ne parviennent pas à un résultat. L’enseignant explique que les efforts fournis, ajoutés aux stratégies utilisées conduisent à la réussite ; mais il ne fait pas que l’expliquer, il le prouve. Et l’enfant qui réussit, aussi petite soit sa réussite, prend goût au travail scolaire. En pratiquant les encouragements positifs à grande échelle, en pointant chaque fois le lien entre efforts et résultats l’Enseignement Explicite développe chez les élèves un esprit dynamique.

L’effort, tant décrié en éducation, est pourtant nécessaire et il n’est pas forcément synonyme de souffrance. L’enfant qui voit ses efforts récompensés ne souffre pas mais au contraire développe le désir d’apprendre plus. C’est ainsi qu'apparaît le plaisir d’apprendre. Contrairement à une idée courante, le plaisir à l’école ne vient pas de l’assouvissement des besoins immédiats, ni du jeu, c’est un plaisir scolaire, nouveau, celui d’apprendre. Comme toutes les choses scolaires, le plaisir d’apprendre est culturel, il n’est pas inné ; c’est le rôle de l’enseignant que de l’y initier. L’enfant qui a plaisir à apprendre vient volontiers à l’école car il a intégré l’idée que ses efforts sont récompensés; son estime de soi augmente, il connaît le bien-être.
Le bien-être à l’école est le fruit d’une réussite scolaire qu'il est possible d’améliorer en commençant par s’interroger sur l’efficacité des méthodes pédagogiques actuelles.

 [1]. La recherche sur l’estime de soi l’a bien montré. Voir les travaux de Carol Dweck, ceux de Jean Twenge ainsi que les résultats du projet Follow Through.


Bienvenue sur Explicitement Vôtre


Ce blogue a pour but de participer à la diffusion de l’Enseignement Explicite en France. Il fait une veille internationale sur la recherche relative aux pratiques efficaces en enseignement. Il propose aussi des commentaires sur l’actualité pédagogique.

 Enseignante en école primaire depuis de nombreuses années, je pratique l’Enseignement Explicite en classe et participe à la diffusion de cette pratique pédagogique efficace via le site Internet Form@PEx et une chaîne vidéo. Pour en savoir un peu plus sur moi, voir ici.

Ce blogue est destiné à toutes celles et ceux pour qui les données probantes ont toute leur place dans l’enseignement. A toutes celles et ceux soucieux d’être efficaces dans leur métier d’enseignant : ceux qui aimeraient quitter leur classe tous les soirs sur le constat que les élèves ont appris quelque chose, ceux qui pensent que tous les élèves peuvent apprendre, ceux qui osent abandonner les méthodes non efficaces. Et enfin à tous ceux qui, enseignants ou non, ne se satisfont pas des réponses convenues à leurs questions éducatives.

La recherche en enseignement efficace est surtout américaine ; nous avons la chance qu’elle intéresse beaucoup également les chercheurs canadiens francophones. Beaucoup de références seront donc en anglais, j’en proposerai une synthèse en français ou un court résumé. Il me semble important en effet de faire connaître en France ce pan de la recherche, très important qualitativement et quantitativement. Depuis de nombreuses années, la diffusion de la recherche américaine en France est sélective : certains travaux parviennent à franchir l’Atlantique, comme par exemple le programme Hands On (Main à la pâte), alors que d’autres, (projet Follow Through, Explicit Teaching, Direct Instruction, recherche cognitive…) n’y parviennent pas. Il faut donc aider à la navigation des idées.

Il existe sur Internet de nombreux espaces pour polémiquer, ce blog n’en fait pas partie. Il n’a d’autre mission que celle d’informer. Par conséquent, les commentaires seront soumis à l’approbation du modérateur.

Je vous souhaite une bonne lecture.