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vendredi 24 mai 2013

Les conditions du métier d’enseignant en Primaire aujourd’hui

Ce billet fait suite au précédent. J’ai reçu en privé un message émanant d’une enseignante offusquée par mes propos ; elle y a lu une diatribe contre le corps enseignant et contre elle en particulier, bien que je ne la connaisse pas. Mais il en va souvent ainsi en lecture : on a la faiblesse de croire que l’auteur écrit en pensant à nous personnellement. Même si l’anecdote est insignifiante en soi, il me semble utile de préciser en quoi la liste précédente reflète bel et bien la détérioration des conditions d’exercice du métier. Cette personne, et peut-être d’autres avec elle, aurait dû aller jusqu’à la conclusion de mon billet qui disait : « Cette liste n’est pas destinée à dénigrer l’acte d’enseigner en soi, qui à mon avis est une tâche passionnante, mais à pointer les conditions d’exercice de ce métier qui, au fil des ans, se sont exagérément dégradées, à tel point que d’aucuns gémissent aujourd’hui sur une « crise des vocations »,sans toutefois essayer d’en trouver les raisons. » Je précise par ailleurs que je suis moi-même enseignante en activité et si je dénonce les conditions du métier, c’est parce qu’elles me touchent quotidiennement depuis longtemps et qu’elles nuisent au bon exercice de la pratique. J’ai créé ce blog pour faire connaître l’Enseignement Explicite, mouvement pédagogique qui s’inscrit dans la recherche d’efficacité observable ; tout ce qui entrave l’exercice de cette efficacité mérite d’être dénoncé. Par conséquent, je persiste et je signe.

Voici donc quelques compléments d'information.

Un métier devenu pénible au fil du temps et une pénibilité non reconnue : les comportements des élèves ont changé et les classes difficiles sont devenues monnaie courante y compris dans des zones non réputées difficiles. Phénomène aggravé par un changement d’attitude des familles vis-à-vis de l’école. Face à ces mutations, aucun moyen supplémentaire n’a été mis en œuvre, l’autorité professionnelle de l’enseignant, au moment même où il aurait fallu la renforcer, a été amoindrie et l’ingérence pédagogique des familles encouragée. Les tailles des classes restent inchangées et les mêmes sempiternelles et inefficaces recettes sont appliquées. Quand des jeunes enseignants se trouvent face à une classe de 25 « sauvageons » ingérables, 6 heures par jour, et qu’ils consacrent toute leur énergie à pacifier le groupe, ils n’enseignent pas. Qui s’en soucie ? Et dans quel état physique et psychologique rentrent-ils chez eux le soir ?

D’autres pressions émanent d’une hiérarchie trop souvent tatillonne qui, au lieu de se pencher sur les résultats, se complaît à vérifier la conformité au dogme pédagogique, et semble se délecter d’une bureaucratisation maintenant poussée à l’extrême, le tout ponctué d’une impressionnante épidémie de réunionite aiguë dont l’utilité reste aussi à démontrer.

La société ne respecte plus son école ni ses enseignants. C’est logique à défaut d’être normal ; c’est ce qui se produit quand le salaire est très bas, que l’autorité professionnelle est érodée et que n’importe qui peut venir mettre en doute la pratique de l’enseignant.

Quant au salaire, j’observe depuis de nombreuses années que c’est une question taboue dans le milieu enseignant, y compris chez certains syndicats. On vous rétorquera facilement qu’on « ne fait pas ce métier pour l’argent » ! A croire qu’une grande majorité d’entre nous ne pensent pas mériter leur salaire. Ou alors se situent dans une véritable « vocation ».Il est clair que ce trait de mentalité permet au ministère de jouer sur du velours. Pourquoi augmenterait-il des personnes pour qui l’argent n’est qu’un détail, et qui s’épanouissent dans le bénévolat ? Malgré tout, considérant que l’âge moyen de l’entrée dans le métier est actuellement de 28 ans avec un niveau d’études master 2, je comprends que les candidats ne se bousculent plus. Les enseignants du Primaire touchent à peine 73% de ce qu’ils auraient perçu dans une autre profession à diplômes équivalents. Les salaires ont diminué de 8% en prix constants depuis une dizaine d’années. Mais qui songe à compter ? Pour rester dans l’aspect financier, est-il normal que l’on vous impose la participation à des journées de formation hors de votre lieu d’exercice sans vous rembourser les indemnités de déplacement ?

Sur le plan pédagogique, je pourrais évoquer aussi l’exercice de la liberté pédagogique qui, dans certains cas, peut relever de la performance, tant les pressions sont pesantes pour imposer à tous le dogme constructiviste. Mais aussi la formation initiale ou continue dont il est évident qu’elle est incapable de former efficacement. Les élèves maîtres en font l’expérience dès qu’ils ont charge de classe et prennent conscience des limites de la formation reçue. Enfin, que dire de ce malaise dont on parle peu et qui s’appelle la culpabilisation. Quand un enseignant réussit, c’est parce qu’il a la chance d’avoir de bons élèves, quand il échoue, c’est de sa faute et de sa faute seule. On ne va pas le lui dire aussi directement, on va le lui faire comprendre, l’insinuer, faire en sorte qu’il se remette en question mais sans jamais lui donner de véritables moyens pour s’améliorer. Beaucoup d’enseignants souffrent de cette solitude et se remettent en cause en permanence.

Tout cela constitue un environnement de travail peu propice à l’efficacité mais par contre susceptible d’alourdir la pénibilité du métier. On s’intéresse souvent au bien-être des enfants, rarement à celui des enseignants, et pourtant il y a véritablement un malaise dans la profession qui justifie entièrement la désaffection générale. Suivre toutes ces années d’études pour un métier si peu reconnu, si mal payé et si contraignant ? Mieux vaut y réfléchir à deux fois.

Voir aussi sur la question le dossier spécial sur Form@PEx.


Françoise Appy

4 commentaires:

  1. Bonsoir Françoise, je partage totalement ton analyse de la situation.
    Il est de plus en plus difficile d'enseigner face à des enfants ingérables,impolis. Quant aux résultats, on ne pourra pas les améliorer si leurs comportements ne changent pas! C'est triste mais c'est une évidence !
    Demande-t-on à un boulanger de faire du bon pain avec de la mauvaise farine ?
    A un luthier de faire sonner une guitare en travaillant du bois mal préparé ?
    Le véritable problème est là mais personne n'en parle vraiment; ça remettrait en cause l'éducation des parents. Sujet tabou ! Nous sommes tous parents ...et nos syndicats font la sourde oreille et ne font jamais remonter la détresse de certains collègues (ceux qu'on dit incompétents ! ).
    Aucune réforme ne sera efficace si en amont aucun bon diagnostic n'est fait ! La grande muette, c'est l'Education Nationale et nos syndicats aiment à défendre l'Ecole (au sens noble)mais sûrement pas les Enseignants !
    J'ai une pensée pour tous mes jeunes collègues qui découvrent la profession et qui désenchantent, qui se retrouvent seuls face au mépris de ceux qui nous critiquent sans cesse et qui ne trouvent aucun soutien.

    Eliane (plus de 35 ans d'expérience dans tous les milieux)

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    1. Bonjour Eliane, merci pour ton témoignage.
      Je pense que les problèmes de l'enseignement aujourd'hui sont l'expression d'un malaise plus général. Ils persisteront tant que nos décideurs refuseront de voir la réalité en face et s'obstineront à proposer pour toute solution des recettes qui ont déjà donné la preuve de leur inefficacité. Je crains que la Refondation promise ne soit une nouvelle fois qu'un emplâtre sur une jambe de bois. Une vraie refondation de l'Ecole nécessiterait tellement de bouleversements profonds que je doute qu'aucun ministre n'en ait un jour le courage politique. Tout cela est fort regrettable, comme tu les soulignes, pour les jeunes enseignants et bien sûr pour les élèves.
      Cordialement

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  2. Bonsoir Françoise, je reviens te voir !
    Bien sûr, je suis d'accord avec toi.Je ne voudrais pas te paraître trop "étriquée". Le problème vient d'un malaise plus général effectivement. Cependant,même si on sait observer la société et déplorer les nombreux soucis,on devrait pouvoir dénoncer, sans aucun tabou, les difficultés que l'on rencontre pour mener à bien la mission qui nous est confiée.
    Au lieu de cela, on comprend,on courbe l'échine, on compatit, on se tait et ce qui me semble grave, c'est qu'on ne fait pas grand chose pour réveiller les consciences.
    En résumé, on observe sans agir ! Nous sommes sûrement responsables de l' enlisement actuel puisque le problème majeur que nous rencontrons n'est guère récent ...
    Bien cordialement
    Eliane

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  3. Bonjour,
    Le réveil des consciences est un vaste programme. Douglas Carnine, chercheur américain, disait il y a quelques années, qu'il faudrait sans doute un énorme clash pour qu'il ait lieu.

    A notre échelle, nous pouvons faire savoir un certain nombre de choses sur la réalité du métier mais surtout nous pouvons agir sur le plan pédagogique, par le choix d'une méthode efficace.

    Bien sûr, il y a tous ceux que tu évoques, qui courbent l'échine, soit par résignation, soit par habitude, soit par ignorance. Mais il y a aussi la masse de ceux qui, en dépit de conditions déplorables, continuent à "faire tourner la boutique" et à travailler consciencieusement, avec pour unique but l'apprentissage des élèves. C'est sûrement grâce à eux que l'édifice ne s'est pas encore écroulé.

    La passivité que tu déplores pourrait peut-être s'expliquer par un certain individualisme et par la disparition du sentiment corporatiste.Comme en atteste par exemple la baisse, depuis bien des années, des taux de syndicalisation.

    Notons tout de même que la Refondation de V.Peillon a suscité le mouvement des Dindons (http://paroleauxdindons.canalblog.com/)Même si cela n'a pas l'air d'émouvoir le ministère, il n'en reste pas moins que ce sursaut enseignant, non syndical est peut-être le signe d'une lueur d'espoir. En tout cas, voilà qui me permet de finir sur une touche d'optimisme !
    Bien à toi

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