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mercredi 26 juin 2013

Une contrefaçon d'ISOE pour le Primaire

Il y a quelques semaines, je déplorais l'obole envisagée par le ministre de l'Education Nationale pour les enseignants du primaire. Depuis, les choses ont changé et un nouvel épisode nous est livré aujourd'hui.

Vincent Peillon accorde une prime aux enseignants du primaire d’un montant de 400 € par an, pour réparer « l’injustice » de traitement entre enseignants du secondaire et enseignants du primaire relativement à l’ISOE. Notons au passage que notre ministre se fait une curieuse idée de la notion de réparation, l’ISOE des professeurs du secondaire étant de 1200 € par an, c’est-à-dire 3 fois plus.

Vincent Peillon a donc changé d’avis ; il avait en effet suggéré le 28 avril que la prime friserait plutôt les 90 € par an, en raison de la crise.  Serait-ce la parution du dernier rapport de l’OCDE avec une note consacrée à la France, qui lui a suggéré un tel geste ?

En tout cas, ayons une pensée émue pour les épiciers du ministère qui ont eu fort à faire pour  racler les fonds de tiroirs : quelques milliers d’euros récupérés grâce à la suppression de la prime d’évaluation accordée aux enseignants de CE2 et de CM1, quelques millions pris sur la suppression des stages de remise à niveau, plus quelques autres millions sur divers «reliquats de 2012 », encore d’autres dans le gel des salaires. Peut-être faudrait-il aussi inclure dans ces comptes d’apothicaires, la volonté du ministre de diminuer de 316 € mensuels le salaire des débutants.

Voilà qui donne l’impression d’une refondation improvisée et bricolée selon les aléas du jour. Quel sérieux peut-on accorder à ce qui se dit une véritable révolution du système scolaire et qui n’a même pas prévu à l’avance son financement. Et l’aspect financier hélas n’est que la partie émergée de l’iceberg, tout le reste étant à l’avenant. A ce stade, on n’est même plus dans le bricolage, on est dans le mauvais rafistolage.

Tout cela montre comment le ministère considère les enseignants du primaire. Mais au fond, peut-on honnêtement lui en faire grief ? En effet, si on en croit la récente enquête menée par l’UNSA sur les métiers de l’éducation, environ la moitié des interrogés ressentent de la reconnaissance et du respect dans leur pratique (44%), 84%  sont heureux de leur métier, 42%  trouvent leurs conditions de travail satisfaisantes, même si par ailleurs ils sont 58,76% à estimer que l’amélioration du pouvoir d’achat devrait être la première priorité.

Cela fait des années que les enseignants du primaire sont déconsidérés y compris par leur ministère ; certes, il leur arrive d’exprimer leur agacement par quelques grèves de-ci de-là, mais au fond, rien de bien méchant. Ils ont avalé les réformes successives docilement, les ont parfois accompagnées d’un œil bienveillant et les questions salariales, même s’ils déplorent la baisse du pouvoir d’achat, ne sont pas leur préoccupation principale. C’est normal quand on choisit ce métier par « vocation » comme le montre le sondage du SNuipp sur les jeunes enseignants (c'est le cas pour 73% d'entre eux).

Reste à voir si cette prime sera pérenne ou si elle ne durera que l’instant d’une promesse, comme ce fut si souvent le cas par le passé. Quelque chose me dit qu’elle sera insuffisante à rattraper le décalage salarial des enseignants français avec leurs collègues de l’OCDE : ils gagnent en effet 11 % de moins par rapport à la moyenne. Pas plus qu'elle ne mettra fin à l'injustice de traitement entre enseignants du primaire et enseignants du secondaire. 


vendredi 21 juin 2013

La boîte à outils


Mon attention a récemment été attirée par cette phrase, lue dans le rapport de l’IGEN des inspecteurs généraux Bouysse et Pétreault, relatif à l’arrêt des expérimentations PARLER et ROLL.

 « Les outils ne font pas une pratique, à eux seuls »

La place des outils en pédagogie est une question très importante, à laquelle j’ai eu l’occasion de réfléchir, en partie en m’appuyant sur mes propres expériences et sur celles d’autres enseignants par la voie associative.

L’outil, y compris en pédagogie, est un instrument au service d’une pratique. Ce principe est d’une grande logique et d’une imparable simplicité. Pour utiliser l’outil convenablement, on doit savoir quel est son usage, ce à quoi il est le mieux adapté, puis on doit en apprendre le maniement.

Pour utiliser au mieux une pratique pédagogique, il faut en connaître les tenants et les aboutissants. Ainsi, les outils qui lui sont associés seront optimisés, l’enseignant gagnera en autonomie et pourra consacrer son énergie à inter réagir au mieux avec les élèves. Par exemple, si je sais que la mémoire de travail est limitée en temps et en contenu, je saurai pourquoi, en enseignement explicite par exemple, on veille à ne pas introduire beaucoup de notions nouvelles en même temps. De la même manière, on évitera de proposer des activités à forte charge cognitive inutile (surcharge produite lorsque l’on utilise des ressources cognitives sans rapport direct avec l’objectif d’apprentissage). Les exemples sont légion.

L’outil, c’est-à-dire dans le cas qui nous occupe, la procédure, ne doit pas être un carcan, quelque chose que l’on utiliserait à la lettre sans trop savoir pourquoi, mais le moyen d’aboutir à une pratique plus fluide et entièrement raisonnée. L’outil doit libérer l’enseignant et non l’enchaîner.

Cela étant, la question de l’outil en pédagogie, au sens d’une procédure décrite avec précision, pose un problème à la fois de crédibilité mais aussi d’attentes excessives.

La culture pédagogique française, de nature constructiviste, croit que l’enfant doit construire lui-même ses propres savoirs par le biais de situations de découverte ; néanmoins elle ne donne à l’enseignant aucun outil pour ce faire. J’ai encore ces paroles en tête lors d’une animation pédagogique : « Posez toutes les questions que vous voulez, mais nous ne sommes pas là pour apporter des réponses ».  Tout ce qui relève de procédures pédagogiques structurées, décrites avec précision est censé abêtir les élèves, en faire des automates serviles, contribuant ainsi à la fameuse mécanisation des savoirs. Croyance qui vaut aussi pour la critique de la pratique(le drill and kill des anglo-saxons), de la mémorisation etc. Par conséquent on comprendra mieux que lorsque l’on propose des outils, et des procédures précises, cela soit discrédité. Les constructivistes appliquent à l’enseignement leur théorie : l’enseignant doit lui-même élaborer ses propres savoirs pédagogiques et ses propres outils. Preuve en est le discrédit porté à l’utilisation des manuels pour ne donner qu’un exemple.

D’un autre côté, dans la réalité du terrain, il y a la masse des enseignants dont les plus jeunes (et les moins jeunes également) se retrouvent complètement démunis. Eux sont demandeurs de procédures. Il n’est pour s’en persuader qu’à se promener sur Internet qui regorge de sites d’enseignants en recherche de solutions et de recettes.  Il y a là un véritable et profond besoin d’information. Et il est regrettable que toutes ces personnes en soient réduites à chercher par leurs propres moyens, à échanger des recettes et autres astuces plus ou moins expérimentées dans les classes. Tout cela car la formation aussi bien initiale que continue ne leur a pas fourni les outils.  C’est alors que se pose véritablement la question : peut-on entrer dans une méthode par la pratique ?

Ayant en mémoire l’enseignement explicite que je connais bien, je ne suis pas sûre que l’enseignant qui le choisit sans connaître le pourquoi et le comment de la méthode, soit capable de l’appliquer au mieux. Pourra-t-il inter agir avec les élèves de manière appropriée ? [1]L’expérience m’a montré que nombre d’enseignants sont dans l’urgence et veulent des procédures qui marchent tout de suite et se soucient peu de la raison de leur efficacité. A leur décharge, ils ont été saturés de discours théoriques sans aucune prise avec la réalité lors de leur formation initiale et font une allergie à tout type de discours un peu abstrait. La plupart des enseignants sont rétifs à cette approche.  

Certes, on peut entrer dans une pratique par les outils même si ce n’est pas la façon la plus rationnelle et il faut dans ce cas faire preuve de curiosité et avoir une véritable envie d’approfondir la question. Seuls les plus motivés feront ce cheminement d’auto formation. Plus généralement nous voici une fois de plus confrontés à la question de la formation initiale telle qu’elle est définie aujourd’hui (et aucun changement ne se profile à l’horizon) : un seul modèle pédagogique est proposé et il ne permet pas aux enseignants d’être efficaces. Cela renvoie également à la professionnalisation du métier. Pendant combien de temps encore les enseignants, supposés être des professionnels, seront-ils obligés de chercher tout seuls, de s’auto former  et de se bricoler des boîtes à outils plus ou moins performantes ?





[1]  Par exemple, quelle sorte de pratique sera celle de cette enseignante qui voulait adapter les situations de découverte à l’enseignement explicite ? Ou de telle autre qui considérait  que la Main à la pâte relevait de l’enseignement explicite ?

vendredi 14 juin 2013

Pour ou contre l'expérimentation pédagogique ?

Mon attention a récemment été attirée par cette phrase, lue dans le rapport de l’IGEN des inspecteurs généraux Bouysse et Pétreault, relatif à l’arrêt des expérimentations PARLER et ROLL. 

« Les classes ne sont pas des laboratoires, les élèves ne sont pas des cobayes.» 

J’observe que ce type d’argument est de plus en plus fréquent dans la bouche des détracteurs des expérimentations pédagogiques. Le recours à l’intérêt des enfants en n’hésitant pas à les comparer à des cobayes est l’argument massue de la part de tous ceux qui sont hostiles aux données probantes, qu’ils soient de l’école constructiviste ou de l’école traditionaliste. Quel être humain digne de ce nom voudrait faire de nos enfants des cobayes ?

Mais les choses sont un peu plus compliquées que cet argument simpliste. La recherche en sciences éducatives est difficilement envisageable sans une expérimentation en salle de classe. Une méthode pédagogique, même mise au point par les meilleurs spécialistes dans leur labo, doit passer par le stade expérimental. En effet, rien ne garantit le succès total du passage d’une théorie, aussi sérieuse soit-elle, à la pratique en classe. Il existe de nombreux facteurs non prévisibles et parfois des observations faites en laboratoire peuvent ne pas se vérifier.

Un petit rappel sur la taxonomie d’Ellis & Fouts est ici nécessaire. Cette classification, largement admise par la communauté scientifique, repose sur 3 niveaux de recherche :
Niveau 1
Ce sont les recherches de base : enquêtes, études de cas. Elles sont de type descriptif. Elles ne permettent pas de mettre en évidence des liens de cause à effet  ou de vérifier des hypothèses. Elles permettent de formuler des hypothèses. En aucun cas elles ne peuvent déboucher  sur des recommandations pédagogiques. Elles ont besoin du niveau 2 pour être validées.
Niveau 2 
Elles vont permettre d’établir une relation de cause à effet entre deux ou plusieurs variables. Elles feront l’objet d’une mise à l’épreuve en salle de classe à l’aide de groupes expérimentaux et de groupes témoins. Les recherches de niveau 2 offrent donc un degré de validité scientifique plus élevé que celles de niveau 1. 
Niveau 3 
Les recherches de niveau 3 ont pour but l’évaluation des résultats obtenus au niveau 2 lorsqu’on  les implante, par exemple, systématiquement et à large échelle dans des projets pilotes.  Les recherches de niveau 3 sont de loin les plus fiables sur le plan scientifique, car plusieurs pratiques pédagogiques peuvent être comparées et testées simultanément.

Ainsi, on comprend mieux toute l’utilité d’une expérimentation en classe à large échelle avant de faire une recommandation pédagogique auprès des enseignants. Hélas, nombre de pratiques pédagogiques chaudement encouragées dans les classes n’auraient aucune légitimité si on avait appliqué ce principe. D’un autre côté, il est évident que les expérimentations à large échelle sont très coûteuses et que cela échaude les décideurs. A cela s’ajoute une culture pédagogique française très éloignée de la recherche scientifique et plus versée dans les principes idéologiques. Ainsi le constructivisme n’a aucune assise scientifique : les études sur lesquelles il repose n’ont jamais dépassé le niveau 1 dans la précédente classification. L’assertion de départ (on doit enseigner en faisant construire leurs savoirs aux élèves car c’est ainsi que nous apprenons) n’a jamais dépassé le stade de l’hypothèse. Ce qui ne l’a pas empêché de devenir un dogme.

On comprend mieux par conséquent le problème pédagogique aujourd’hui en France : c’est le statut des données probantes. Les pesanteurs historiques font qu’il y a une peur des données probantes y compris expérimentales. Sans doute car elles risqueraient de remettre en question un grand nombre de vérités. Une expérimentation comme le projet Follow Through n’aurait jamais pu voir le jour chez nous.

Mais il y a un paradoxe troublant. Nos décideurs, qui jettent la suspicion sur le principe expérimental et sur les données probantes, sont les mêmes qui vouent un culte sans borne au principe d’innovation pédagogique et l’encouragent vivement, feignant d’oublier que l’innovation sans filet, elle aussi, nécessite des élèves cobayes. Pourquoi donc les élèves seraient-ils considérés comme des cobayes dans la perspective d’une expérimentation cadrée, menée par des spécialistes et ne le seraient-ils plus dans le cadre d’innovations pédagogiques plus ou moins échevelées et  non contrôlées ? On pourrait aussi rappeler le vœu de Vincent Peillon, dans sa lettre de juin 2012 à tous les personnels de l’Éducation Nationale, quand il écrivait que la pédagogie devait «  être attentive aux travaux de la recherche ». Que mettait-il exactement derrière le terme recherche ?


Et enfin, que dire de ces milliers d’élèves qui, depuis plusieurs décennies, subissent des méthodes pédagogiques inefficaces, comme le montrent les résultats, imposées par seul souci de la conformité au « pédagogiquement correct » ? Ne sont-ils pas aussi des cobayes innocents, ne paient-ils pas un lourd tribut à l’entêtement de nos décideurs ? La recherche en sciences cognitive a montré qu’un enseignement peu guidé est nettement moins efficace qu’un enseignement guidé et explicite. On continue de nier cette évidence en recommandant auprès des enseignants un enseignement peu guidé. Qui sont les cobayes dans l’histoire ?