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lundi 19 août 2013

L'enseignement sous X


La communication sur Internet suscite des attitudes désinhibées et agressives : on s’y permet des excès de langage que l’on n’oserait jamais de vive voix. Cette métamorphose transforme le tranquille et affable citoyen lambda en pire des malotrus sur la toile, protégé par un anonymat libérateur. Ou le pouvoir des pseudos. C’est après avoir passé un long moment à inventorier des sites d’enseignants que la question de l’anonymat m’est apparue.

En effet, il existe sur la toile des centaines de sites ou blogs d’enseignants, de qualité inégale certes, mais qui sont là pour partager des ressources. J’ai bien été incapable de les recenser tous mais une chose est sûre : on compte sur les doigts d’une seule main ceux qui ne publient pas sous X. Les auteurs avancent masqués. Cela pose un certain nombre de problèmes. On est en droit de se demander pour quelle raison les auteurs se cachent et si leurs intentions sont louables. Leur viendrait-il à l’idée d’organiser une réunion pédagogique dans laquelle ils viendraient masqués ? Et quel crédit accorder à quelqu’un qui ne dit pas son nom ?

Je comprendrais l’anonymat si les thèmes étaient par essence sensibles et que les auteurs redoutent les conséquences de leurs opinions dans la vie réelle. Mais ce n’est pas le cas : les auteurs de la Classe des Bisounours ou de Maîtresse Cancoillotte, de toute évidence, ne courent aucun risque : ils proposent gratuitement des outils pour aider les enseignants et ne véhiculent aucune espèce d’idée non conforme en matière pédagogique. Sur ces mêmes espaces, la grande majorité des commentateurs également écrivent sous pseudo. Ce qui, dès que le sujet devient « sensible » (et le seuil est vite atteint en pédagogie), libère les pires instincts.

À côté de ces sites ou blogs, il y a les espaces dédiés à la discussion. En ces lieux aussi, l’anonymat des commentateurs est majoritaire[1]. Là, il s’explique mieux : il donne du courage au  timide, lui permettant d’écrire ce que jamais il n’oserait dire à haute voix. Pour lui c’est sans doute bénéfique, il libère sa parole sans en avoir le retour de manivelle. Enfin, en principe, car les propos diffamatoires, même sous x, sont susceptibles de poursuites. Bien évidemment, cela contamine durement les échanges (voir loi de Godwin et reductio ad hitlerum) et ces espaces deviennent des cibles idéales pour les trolls et autres « flameurs ». Pour avoir en d’autres temps fréquenté ces espaces, je sais maintenant que rien de positif ni de constructif n’en sort jamais. Par contre, ils répandent volontiers des rumeurs, se complaisent dans l’insulte, le dénigrement ad hominem et autres joyeusetés.

Internet peut être un outil extraordinaire. Il est important de comprendre  que dès lors, que les intentions ne sont pas nuisibles mais constructives, il n’est pas nécessaire de se cacher ; la cause de l’enseignement a tout à y gagner. Quant aux anonymes qui injurient et diffament publiquement sur des espaces de discussion, sous le prétexte fallacieux de liberté d’expression, il faut je crois, les tenir pour ce qu’ils sont, des pleutres malfaisants.

Pour la petite (très petite) histoire, si l’anonymat est très répandu sur la toile, il existe aussi dans la vraie vie : j’ai été surprise de constater que la Librairie des écoles édite des manuels écrits par une « réunion de professeurs et d’orthophonistes ». Je comprends que d’aucuns n’aient pas envie de voir leurs noms associés à cet éditeur dont on connaît les accointances avec SOS Éducation, mais il eut été plus élégant dans ce cas d’utiliser un pseudo collectif !

Internet est une pépinière de paradoxes. Les mêmes qui s’y cachent ont aussi plaisir à s’y exhiber. Anonymat dans les blogs et mise en scène de sa propre personne sur les réseaux sociaux dans une représentation qu’ils espèrent porteuse de « célébrité ». L’anonymat sur Internet fait couler beaucoup d’encre ; il est difficile de trancher en faveur ou contre, en particulier en raison des questions de respect de la vie privée, et de fichage, mais il ne faut pas non plus développer une phobie aveugle. La généralisation de l’anonymat est bien souvent excessive. Une astuce pour rester serein en communicant sous son nom sur la toile : n’écrire que ce que l’on serait capable de dire de vive voix aux personnes concernées.





[1] . Selon la thèse de Frank Mungeam, sur une base de 500 commentaires, seulement 4% sont signés du patronyme réel de leur auteur.

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