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samedi 8 février 2014

La pensée critique en Enseignement Explicite

Dans un post (1) relatif à l’ABCD de l’égalité, J.M.Zakhartchouk écrit que les instructionnistes sont prêts à imposer à leurs élèves leur morale mais pas du tout enclins à les former à l’esprit critique. J’ignore si une telle affirmation relève de l’ignorance ou de la malhonnêteté intellectuelle. Il n’en reste pas moins que la sentence est tombée. Si vous êtes instructionniste, vous n’êtes là que pour formater l’esprit des élèves à vos propres valeurs qui, de toute évidence ne sont pas forcément recommandables. Ce n’est pas Luc Cédelle (2) qui dira le contraire, lui qui inscrit les instructionnistes dans l’axe du mal Dieudonné-Soral-Belghoul, réussissant l'exploit d'atteindre le point Godwin dès les premiers mots de son billet.

De toute évidence, l’idée d’esprit critique pose un sérieux problème. Dans la mouvance constructiviste, on croit former les élèves à l’esprit critique en leur donnant à apprendre un catéchisme c’est-à-dire une liste de ce qui est bien, de ce qu’il faut penser, et puis une autre liste de ce qui est mal. Exactement comme le faisait l’école d’antan avec ses leçons de morale. Sauf qu’aujourd’hui les contenus ont changé : on n’apprend plus « qui vole un œuf vole un bœuf » mais qu’il est mal d’être raciste. L’élève exprime son esprit critique en répétant à l’envi ce qui lui a été inculqué par l’enseignant. En aucune manière, il ne s’agit d’un jugement forgé par lui-même. Mais l’enseignant doit s'en satisfaire.

Avant d’aller plus loin, présentons l’instructionnisme puisque de toute évidence, ceux qui n’appartiennent pas à ce courant s’en font une idée fausse. C’est un courant pédagogique prônant la transmission directe des connaissances et habiletés. Contrairement au courant constructiviste qui lui, croit qu’une transmission indirecte par voie de découverte par exemple est plus appropriée. Parmi les instructionnistes on trouve des partisans de l’école traditionnelle d’autrefois et des défenseurs de l’Enseignement Explicite, les deux présentant de grandes différences au niveau de la pratique pédagogique et de l’utilisation des données probantes.

Les lignes qui suivent proposent une mise au point sur la pensée critique à l’école, dans le cadre de l’Enseignement Explicite.
Une chose est sûre : la pensée critique est difficile à enseigner. C’est pourquoi sans doute, il est plus facile de donner à apprendre des mantras. La pensée critique consiste à envisager tous les aspects d’une question, à raisonner sereinement, à argumenter sur des preuves, à contre-argumenter, à faire des déductions. C’est la quintessence du raisonnement.

Le rapport américain Nation At Risk, en 1983, insistait sur les défaillances des élèves à raisonner de manière critique et argumentée. À la suite de cela, on a vu fleurir aux États-Unis une multitude de méthodes supposées enseigner l’art de la pensée critique. Méthodes qui se sont révélées de la plus haute inefficacité. De fait, elles reposaient sur une conception de base erronée : la pensée critique serait une habileté comme les autres, par conséquent enseignable comme les autres. Or ce n’est pas le cas, la science cognitive a montré que la pensée critique était un mélange complexe de processus de pensée et de contenus. Si on enseigne des maximes montrant comment il faut penser, sans que l’élève n’ait les connaissances d’arrière-plan adéquates et sans pratique, il  ne sera pas capable d’une véritable pensée critique. Voilà qui explique sans doute pourquoi après des années d’inculcation d’une pensée critique relative à la Shoah, par exemple, il y a aujourd’hui tant de jeunes qui succombent aux sirènes de Dieudonné ou se montrent irrespectueux lors des visites scolaires dans les camps.

La recherche en sciences cognitives a montré que la pensée critique dépend de la possession d’informations ; tout ce que nous lisons ou entendons est interprété à  la lumière de ce que nous savons déjà. Bien souvent, on focalise  sur la structure de surface. Enseigner la pensée critique consiste à permettre aux élèves d’aller plus loin et d’atteindre la structure profonde d’une question.  On ne peut pas penser de manière critique sur un sujet que l’on ne connaît pas ou que l’on connaît mal. On ne peut donc pas l’enseigner en soi, mais toujours dans le contexte disciplinaire, en modelant le raisonnement : questionner ce que l’on sait, considérer tous les aspects du problème … En histoire par exemple, on peut initier les élèves à interroger un document en se demandant qui l’a écrit, quand, dans quel contexte spécifique… Mais l’élève aura beau se poser toutes ces questions, s’il ne possède pas les informations pour y répondre, cela lui sera inutile. Cela n’a de valeur que s’il possède les connaissances pour exercer sa pensée.

Tous les élèves, même les plus petits ont accès à la pensée critique,  s’ils ont les connaissances nécessaires à cet exercice. Dans le cadre disciplinaire, l’enseignant doit rendre la démarche explicite et procéder par étapes, donner plusieurs exemples et montrer comment l’appliquer au contenu de la leçon en cours. La pratique permettra aux élèves de s’approprier cette façon de raisonner et de l’appliquer dans d’autres circonstances à condition qu’ils possèdent les informations nécessaires.

L’Enseignement Explicite, par ses principes, s’emploie à transmettre aux élèves les connaissances et habiletés et à les installer en mémoire à long terme. En même temps, il modèle l’exercice de la pensée critique, dans un contexte disciplinaire. Ce faisant, il forme les élèves à réfléchir en justifiant, en argumentant, en prenant conscience des raisonnements et cheminements qui s’exercent lors de l’acte de penser. Et en donnant aux élèves l’habitude quasi réflexe de toujours affirmer quelque chose en expliquant pourquoi. Ainsi, la pensée critique est au cœur de l’Enseignement Explicite, elle aide les élèves à exercer leur capacité à raisonner sur tous les sujets enseignés et sans qu’à aucun moment on ne puisse prendre cela pour un endoctrinement  quelconque.

C’est pourquoi les procès d’intention relatifs à l’enseignement de la pensée critique chez les instructionnistes, en tout cas chez les enseignants explicites que je connais bien, sont complètement infondés. Ils donnent à penser que leurs auteurs auraient meilleur compte de faire leur autocritique à la lumière par exemple des apports des sciences cognitives et au regard des résultats qu’ont donné leurs propres pratiques auprès des élèves depuis plusieurs décennies. De toute évidence, la pensée critique est un art assez mal réparti et là, je ne parle pas des élèves.


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