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mercredi 22 octobre 2014

La bienveillance à l'école

Depuis quelques temps, on ne parle plus que de cela dans le microcosme éducatif. L’école en général, et les enseignants en particulier, doivent faire montre de bienveillance envers les élèves.

Déjà, le rapport de concertation sur la refondation de l’été 2012 y faisait largement allusion. Lorsque vous faites une recherche sur le portail officiel Eduscol, la bienveillance est partout, vous y trouvez pêle-mêle : le guide de l’école bienveillante, la bienveillance par l’innovation, l’évaluation bienveillante, l’aide personnalisée bienveillante, la coopération bienveillante, la prise en charge inter-catégorielle différenciée et bienveillante, le travail collaboratif et bienveillant, la classe comme lieu de bienveillance et de construction des connaissances, la communication bienveillante, la parole vraie d’intention bienveillante, le climat bienveillant, l’esprit de bienveillance, l’écoute bienveillante, l’équipe bienveillante, la prise en charge bienveillante, la curiosité bienveillante, la « culture » de bienveillance, la férule bienveillante (il fallait oser !), la posture bienveillante, l’autorité bienveillante, l’accueil bienveillant, le regard bienveillant, la houlette bienveillante … J’arrête là cet inventaire, il y en a tout autant sur Edusphère. Le lecteur avisé aura compris que l’école du futur sera bienveillante ou ne sera pas. Nous assistons en direct à la naissance d’un courant pédagogique nommé « bienveillantisme ».

En filigrane, cette lourde insistance illustre un reproche à l’endroit des enseignants, qui de toute évidence manquent cruellement de cette vertu cardinale, devenue à la mode. Que celui qui a des oreilles entende : les professeurs seraient d’abominables autocrates, dépourvus d’empathie, sévères, injustes, cruels, se complaisant à rabaisser leurs élèves, les accablant de mauvaises notes non méritées, se moquant d’eux à l’envi… L’impopularité avérée des enseignants dans la société n’avait vraiment pas besoin de ce nouveau coup.

Disposition généreuse à l’égard de l’humanité. C’est ainsi que l’on définit le mot bienveillance. Il s’agit donc d’une qualité humaine louable. Il n’est pas question ici d’affirmer que cette vertu n’a pas sa place dans l’enseignement. Il s’agit simplement de dénoncer la mise en avant unique de cette vertu humaniste comme solution nouvelle aux résultats catastrophiques de l’école française et l’utilisation d’un raisonnement une fois de plus fallacieux que l’on pourrait résumer ainsi : l’absence de résultats à l’école trouve son origine dans le manque de bienveillance des enseignants ;  si les élèves échouent c’est car leurs enseignants sont mal disposés envers eux, leur octroient de mauvaises notes, les moquent, les rabaissent. C’est une contre-vérité énorme et dangereuse car elle plaît à l’opinion. Faute de vouloir se pencher honnêtement sur les raisons de l’échec de l’école (les méthodes pédagogiques inefficaces), les éducrates font d’une pierre deux coups : ils se dédouanent de toute responsabilité (les enseignants sont malveillants) tout en restant dans leur champ idéologique qui consiste à occulter le réel. Par exemple, supprimons les notes ou les évaluations négatives : l’institution est ravie car les statistiques internes vont monter, tout en s’octroyant les lauriers de l’humanisme. On pourra nous dire dans quelques temps : vous voyez, depuis que l’école est devenue bienveillante (bonnes notes à tout le monde) les résultats ont grimpé. Restera tout de même l’épineuse question des comparaisons internationales ; une solution à mon sens porteuse serait de ne plus y participer.

Mais puisque la question de la bienveillance est à l’ordre du jour, saisissons l'opportunité pour dépasser les poncifs ci-dessus parés d’un humanisme de surface ; il est vrai que la bienveillance manque cruellement dans l’Éducation Nationale mais pas de la façon que l’on nous décrit. Considérons les enseignants: ils sont le niveau zéro de la hiérarchie de cette usine à gaz, considérés comme de vils exécutants et qui pourtant tout au long des réformes qui disent la doxa, continuent contre vents et marées à tenir les classes, les élèves, leurs parents. Qui chaque jour doivent affronter solitude, désarroi, agressions, découragement, manque de moyens devant des classes de plus en plus difficiles, des parents d’élèves de plus en plus intrusifs. Tout cela pour une reconnaissance sociale nulle et un salaire se réduisant comme peau de chagrin, parmi les plus bas en Europe. Où est la bienveillance dans cela ?

Considérons maintenant les élèves. Notre système est malveillant envers eux, non en raison de la méchanceté des enseignants, mais simplement parce que l’école ne parvient pas à les instruire tous. Notre système est malveillant envers les élèves parce qu’il ne leur permet pas de bénéficier de méthodes pédagogiques efficaces. Notre système est malveillant envers les élèves issus de classes sociales défavorisées car il les laisse de côté et refuse de prendre en compte les quantités de données probantes qui permettraient à leurs enseignants de les faire réussir. Non, la bienveillance ne consiste pas à faire croire aux élèves et à leurs parents qu’ils ont réussi quand c’est faux. Elle consiste à les faire véritablement réussir. Cela impliquerait une véritable et profonde remise en question des méthodes pédagogiques officielles, ainsi que le choix audacieux de s’appuyer sur les données probantes, plutôt que sur des considérations idéologiques  devenues aujourd'hui obsolètes.


Oui, je suis d’accord pour parler de bienveillance à l’école, mais honnêtement et sans se voiler la face. L’école échoue depuis des années mais ce n’est pas à cause des enseignants. Elle échoue à instruire les élèves car elle échoue à former des enseignants efficaces et à leur donner les moyens de travailler correctement. L’enseignant est sans cesse culpabilisé, infantilisé et accusé de tous les maux ; il serait temps que les véritables décideurs assument enfin leurs responsabilités, et s’ils sont véritablement convaincus du rôle de l’école publique dans la société, prennent enfin des décisions allant dans le bon sens. 



1 commentaire:

  1. Merci à vous d'oser dénoncer des vérités que nous connaissons et subissons tous!

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