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samedi 24 mai 2014

Parents/enseignant: rupture du contrat de confiance

Le rapport Fotinos de l’observatoire international de la violence à l’école, fait état d’une nette dégradation des rapports entre l’École et les parents. Dégradation qui tend à se généraliser ; ainsi environ 40 % des parents sont des « consommateurs revendicateurs ». La nouveauté réside, selon G.Fotinos dans le hiatus entre la culture familiale et celle véhiculée par l’école comme en atteste par exemple la polémique sur le genre. Selon lui, les torts seraient partagés, les enseignants se retranchant dans leurs bastions face à ces attaques grandissantes.

Vu depuis le terrain, ce rapport me semble correspondre à une réalité qui s’intensifie d’une année sur l’autre.

Dégradation des relations et généralisation des comportements consuméristes sont maintenant devenus courants dans une année scolaire. Beaucoup de parents d’élèves considèrent l’école non comme un lieu d’instruction mais comme un service de garderie. Les signes sont évidents ; ainsi quand un enseignant s’absente sans être remplacé, le souci premier n’est pas de savoir comment les élèves vont rattraper ce manque mais qui va pouvoir les garder.

G.Fotinos a bien compris l’origine d’une telle dégradation quand il parle de rupture entre culture familiale et culture véhiculée par l’École. Par mon expérience, je constate cela à travers les comportements sociaux enseignés à l’école, qui sont de plus en plus étrangers aux élèves ; je parle de tout ce qui régit le savoir-vivre ensemble, depuis les règles de politesse (dire bonjour et au revoir, s’il vous plaît et merci) jusqu’au respect des autres et de leur travail en passant par le sens de l’effort et le respect des règles en général. Les règles sociales et individuelles forment un cadre nécessaire pour qu’un enfant puisse apprendre avec profit et vivre harmonieusement avec les autres. Mais elles ne font plus partie du patrimoine commun dans la société, comme elles l’étaient il y a une cinquantaine d’années. Aujourd’hui, l’élève qui fréquente l’école est un enfant placé au centre dans sa famille : il parle et l’on s’arrête pour l’écouter, il réclame et on lui donne, bref il jouit sans entrave. Mais à l’école, cela ne peut fonctionner ainsi. L’enfant doit accepter des règles, s’y soumettre et accepter les éventuelles sanctions qui vont avec. Dans un premier temps, il est dérouté, s’en plaint auprès de sa famille qui, au lieu de s’interroger sur la chose, accourt immédiatement en faire grief à l’enseignant. Le même enfant roi ne connaît pas les règles à la maison : soit il n’y en a pas, ou alors il y a de fausses règles[1].

Pourquoi les problèmes de comportement sont-ils plus nombreux aujourd’hui qu’autrefois ? Les élèves ne sont ni plus méchants ni plus psychologiquement défaillants qu’avant, mais il y a ce hiatus entre la culture familiale et celle de l’école ; autrefois le respect de la règle faisait partie de l’éducation familiale et les valeurs (respect des autres, de soi, du travail …) coïncidaient avec celles transmises par l’école. Par conséquent, les élèves s’y adaptaient plus facilement. Leur passage à l’école ne suscitait pas sur ce plan là un changement d’univers, alors qu’aujourd’hui c’est le cas. Autrefois, l’élève qui avait fait une bêtise à l’école redoutait que ses parents l’apprennent car il était assuré d’une sanction supplémentaire. Aujourd’hui, l’élève qui a été surpris faisant une bêtise n’a qu’une hâte : que ses parents l’apprennent, car il sait que l’enseignant sera vertement tancé par ses indéfectibles parents-avocats. Les valeurs familiales sont aujourd’hui construites autour du mythe de l’enfant roi, les familles y ont  largement succombé sans prendre la mesure que ce faisant, elles n’équipent pas leurs enfants des qualités et valeurs indispensables dans le monde actuel pour se construire de manière équilibrée.

Par ailleurs, le rapport Fotinos montre que les plaintes relatives aux résultats scolaires n’arrivent qu’en 3ème position. Je confirme ce désintérêt grandissant pour les apprentissages ; les familles se soucient avant tout du bien-être de l’enfant plus que de la qualité des apprentissages. Nombre d’enseignants pourraient témoigner que par exemple, lors des réunions de parents,  les sujets favoris des parents d’élèves sont les sorties scolaires, la fête de l’école, la célébration des anniversaires... Plus largement, ceci est le signe que l’école n’est plus considérée comme indispensable et qu’elle a perdu son rôle d’escalier social. Cela se ressent également à travers les discours des enfants quand on les interroge sur leur avenir : en grande partie, les garçons rêvent de devenir footballeurs et les filles mannequins.

Enfin, last but not least, au palmarès des reproches adressés aux enseignants, les sanctions et punitions. Hélas, on le constate chaque jour sur le terrain, et ce quel que soit le niveau d’enseignement à l’école primaire. L’enseignant assure une gestion de classe efficace en posant des règles de comportement. Or, même si beaucoup l’ignorent, toute règle doit être accompagnée de sanctions, sans quoi elle est vaine. Jusque-là tout irait bien si le parent lambda faisait confiance à l’enseignant. Même l’enfant qui chez lui n’a jamais été confronté à une règle parvient assez vite à les accepter et à les respecter. Mais le parent lambda, persuadé a priori que l’enseignant est hostile à son enfant, ne lui fait pas confiance. La confiance des parents envers les enseignants est un principe en voie de disparition. Par conséquent, ils n’acceptent pas les sanctions, persuadés qu’elles n’ont d’autre but que de nuire à leur précieuse progéniture. À partir de là, ils font feu de tout bois:  ingérence dans le travail de l’enseignant, harcèlement, procès d’intention, cabale, diffamation, parfois même violence physique. Face à cela, ’enseignant se trouve démuni, son autorité de compétence s’étant réduite à peau de chagrin depuis de nombreuses années, depuis que l'on a permis aux parents d'élèves de s'ingérer dans les pratiques professionnelles.

Alors, que peut l’enseignant quand, prévenant un parent du comportement perturbateur de son enfant, celui-ci arrive les poings tout faits clamant à titre de bonjour : « Mon enfant n’a pas de problème de comportement dans votre classe. Le problème, c'est vous. » ? Voilà un exemple qui paraîtra exagéré mais qui n’en reste pas moins réel et illustre bien l’irrémédiable rupture entre parents et enseignants.

Je considère que cette situation est grave car elle empêche les enseignants d’exercer leur métier sereinement, avec pour seule préoccupation le profit des élèves. On ne peut pas travailler utilement avec les élèves si on n’a pas la confiance de leurs parents. De la même manière que le médecin aura beaucoup de mal à nous soigner si nous mettons en doute systématiquement les thérapies qu’il propose. Les enseignants tentent bien de résister, certains y laissent leur santé. C’est pourquoi de renoncement en renoncement, ils cèdent finalement aux pressions parentales et vident le métier de sa substance : ils ne notent plus, ne sanctionnent plus, et maintenant hésitent même à réprimander. Leur gestion de classe et par conséquent leur enseignement n’est plus efficace. Mais qui s’en soucie ?

Même si ce type de parent d’élèves est maintenant majoritaire dans les écoles, je voudrais terminer sur une note plus positive en évoquant la minorité qui fait encore (mais pour combien de temps ?) confiance à l’école et à ses enseignants et qui nous permet de nous lever le matin. Les enfants de ceux-là ont une chance que, malheureusement les autres n’auront pas. Il est trop tard aujourd’hui pour changer le cours des choses ce qui n’augure rien de bon pour l’école publique ni pour la profession. Mais après tout, peut-être les peuples ont-ils l’Ecole qu’ils méritent…









[1] J’appelle fausses règles des règles que l’adulte se plaît à énoncer et annoncer mais ne fait pas respecter. C’est très pernicieux car cela enseigne à l’enfant que l’on peut enfreindre la règle en toute impunité.

dimanche 11 mai 2014

Sciences de l'Education et sciences dures

Carl E.Weiman est un physicien américain, professeur de physique à l’université de Stanford, CA. Il enseigne aussi à la Graduate School of Education, à Stanford. Ses recherches concernent la physique atomique, les attitudes et résolutions de problèmes scientifiques et l’effet des différentes pédagogies dans l’apprentissage scientifique. En 2001, il a reçu le prix Nobel de physique, avec Eric Allin Cornell et Wolfgang Ketterlé, pour ses travaux relatifs aux condensats de Bose-Einstein.

Dans un récent article, il s’interroge sur l’utilisation des données probantes en enseignement. Il y  soutient l’existence d’une très importante similitude entre la recherche pratiquée dans les sciences dures et celle relative à l’éducation ; il y voit des pistes utiles pour définir ce que pourrait être une recherche pédagogique rigoureuse et scientifique. Il explique que la propriété fondamentale de la recherche en sciences dures est son pouvoir prédictif, pouvant s’appliquer uniformément en enseignement à petite et à grande échelle, aux  recherches quantitatives et qualitatives. Bien que les variables puissent différer, tout comme les méthodes de collecte,  les chercheurs tâchent de mesurer et contrôler les variables importantes ; ils conçoivent les expériences et les tests qui en découlent afin de s'assurer que ce qui ne peut être mesuré ou contrôlé entièrement ne modifie pas  les résultats de manière significative. Il conclut que même si des domaines comme la physique ou la chimie sont des sciences matures, le travail de pointe dans ces domaines est souvent désordonné, les chercheurs luttant pour déterminer quelles variables sont importantes. Il suggère que la recherche en éducation soit calquée sur les modèles adoptés par les recherches de pointe dans les sciences dures. Il conclut : «  J’ai soutenu que les similitudes entre les recherches en éducation et la recherche en sciences dures sont plus grandes qu’on ne le reconnaît habituellement, essentiellement en raison d’une méconnaissance de cette dernière… » Dans un autre article consacré à l’enseignement des sciences, il annonçait  «  vouloir faire de l’astronomie plutôt que de l’astrologie ». Excellente image, toute pratique pédagogique ne s’appuyant pas sur les données probantes, relève plus de l’astrologie que de l’astronomie.

Daniel Willingham fait une présentation intéressante de ce pouvoir de prédictibilité de la science selon Weiman dans un article du site Real Clear Education.
Bonne lecture.



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